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décroissant, en France comme ailleurs. La production ayant augmenté sans cesse, l’épargne prélevée sur la production s’est elle-même accrue ; dès lors, la quantité de capitaux offerts sur le marché devenant énorme, la loi de l’offre et de la demande ne pouvait manquer d’abaisser le taux de l’intérêt. Le capital, en s’accroissant sans cesse, se fait de plus en plus concurrence à lui-même ; il restreint ainsi, à vue d’œil, ses profits. La puissance, la rapidité, le bon marché des transports ont rapproché tous les continens, élargi tous les débouchés, produit une concurrence internationale universelle. Dans les grands vases communicans des nations, un certain niveau commun tend à s’établir. Le capital a été mis de plus en plus, comme on l’a dit, « à la portion congrue, » puisque sa part diminue dans la répartition au profit de celle du travail. Agissant à la façon des « lois lentes de la nature, » la baisse de l’intérêt, disent les économistes, ronge pacifiquement, mais sûrement, les revenus de l’oisif. Les rentiers voient sans cesse diminuer leurs ressources. Déjà le financier Laffitte disait : « Il faut travailler ou se réduire. » Depuis un demi-siècle, le taux de l’intérêt est descendu de 5 à 6 pour 100 à moins de 3 pour 100, soit une diminution de moitié. Il faut aujourd’hui un capital double pour avoir le même revenu que jadis. Et cette baisse du taux de l’intérêt n’est pas un phénomène passager ; elle est réservée à une accentuation quasi constante, jusqu’à ce que la rémunération du capital tombe au minimum compatible avec le maintien de l’épargne et avec ce dessaisissement que l’on appelle le placement.

Reste à apprécier si ce phénomène progressif ne mêle point des maux aux biens qu’il entraîne. Quand les œuvres maîtresses de la civilisation sont avancées, disent les économistes, tout nouvel accroissement de capital a des chances d’être moins productif que les précédens emplois ; on peut donc passer à des entreprises de second et de troisième ordre, moins lucratives, que la baisse de l’intérêt permet seule d’aborder : tel chemin de fer secondaire, tel canal, etc.[1]. Sous ce rapport, la baisse est un phénomène favorable. Toutefois, ici encore, les économistes ne voient-ils point trop un seul côté des choses ? Leur optimisme doit être tempéré par la considération de la crise qui sévit depuis vingt-cinq ans, de la « dépression économique, » qui se traduit par un fait non

  1. Paul Leroy-Beaulieu, Traité d’Économie politique, t. IV, p. 135.