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d’association ! On a soutenu que cet esprit est très médiocre en France par l’effet de je ne sais quelle fatalité de race. Nous serions trop individualistes selon les uns, pas assez selon les autres. Les étrangers nous demandent avec ironie comment le peuple qui se dit le plus sociable a si peu la pratique des sociétés et associations. Ils nous opposent les nombreuses sociétés des pays anglo-saxons, où l’on voit des gens se réunir même pour commenter Browning ou Tennyson : les Anglais individualistes seraient-ils donc plus sociables que les Français ?

Non, mais l’excès même de sociabilité n’est pas toujours une bonne condition mentale pour le développement des associations particulières. L’esprit français, — comme l’esprit romain, qui a exercé sur lui une triple influence par le catholicisme, par le droit, par la littérature, — a une aspiration à l’universel ; il aime les idées générales et, de plus, à cause de sa sociabilité, il les applique volontiers aux autres comme à lui, à l’humanité entière. Quand il est individualiste, il l’est pour lui-même et radicalement, sans s’arrêter aussi volontiers que d’autres nations à des groupes particuliers, à des associations particulières : celles-ci n’offrent à ses yeux ni l’universalité dont il est épris, ni la liberté personnelle et même individuelle dont il est également épris, surtout aux heures de résistance. C’est ce qui fait qu’un esprit trop rationaliste, joint à une sociabilité trop universelle et trop indéterminée, a médiocrement favorisé, de nos jours, le développement des associations, qui, en outre, impliquent des intérêts communs à un groupe et, par cela même, une préoccupation utilitaire.

M. de Boyve, qui est à la tête des deux grandes associations nîmoises, a cherché dans le caractère même du Français les principales raisons pour lesquelles il est si en retard sur l’Anglais dans l’œuvre de la coopération. Il nous montre l’Anglais froid, tenace, prêt à tous les sacrifices, ne se laissant pas influencer par le qu’en dira-t-on, disposé à admettre les supériorités et sachant s’en servir, fier de celle de son pays, qu’il surfait volontiers, respectueux de la religion, patriote à l’excès, entreprenant, poussant le souci de l’intérêt national jusqu’à devenir égoïste, faux, insupportable quand cet intérêt est en jeu, bien qu’il se montre individuellement ennemi du mensonge. En regard, M. de Boyve nous peint le Français léger, spirituel, impétueux, toujours préoccupé de l’opinion d’autrui et cherchant ce qui peut le faire briller, très égalitaire, n’aimant aucune supériorité, pas même celle de son pays,