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qu’il dénigre souvent ; ayant pour idéal la subordination et la quiétude de la vie dans l’irresponsabilité, en appelant toujours au gouvernement pour tout ce qui touche à ses intérêts ; railleur et frondeur à l’égard des choses religieuses ; chevaleresque, d’ailleurs, et prêt à se sacrifier pour toutes les nobles causes, sans calculer ce qui pourra en résulter pour lui-même, mais aussi trop prompt à brûler un jour ce qu’il aura adoré la veille ; enfin, désintéressé en politique et très sensible à l’injustice des nations et des gouvernemens qui abusent de sa loyauté. Transportez dans les associations ces esprits différens de l’Anglais et du Français ; il est clair que les divisions politiques et religieuses, en France, entraîneront la difficulté de se grouper, que l’esprit de dénigrement empêchera la discipline, que l’ouvrier ne se souciera pas d’être gouverné par ses pairs ; il refusera d’abandonner son indépendance et son argent pour une association qui est tout près de lui et soumise à sa critique, alors qu’il s’adapte volontiers à la grande et lointaine association de l’Etat, dont il s’exagère les infaillibles vertus. Docile aux injonctions d’un employé d’administration, dit M. Gide, il n’acceptera pas d’être gouverné par son camarade. Aux socialistes, la coopération paraît « trop bourgeoise, » aux libéraux trop socialiste. Chaque parti ne veut consentir qu’à la pleine satisfaction de ses vœux et à la pleine réalisation de ses théories. En attendant, il laisse flotter son drapeau et l’élève le plus haut qu’il peut dans les airs pour que tout le monde l’admire. Et il est content. « La coopération, disait amèrement Blanqui, est venue en aide à l’ennemi et s’est mise à démolir la Révolution en remplaçant un drapeau par le Doit et Avoir. Depuis 1789, l’idée seule est la force et le salut des prolétaires. Ils lui ont dû toutes leurs victoires... Que le peuple ne sorte pas de l’idée pour se jeter dans la spéculation. La spéculation, c’est la voie de l’iniquité et des exploiteurs, ce n’est pas la sienne, il y périrait. » Ainsi, sous prétexte d’idée, on refuse les réformes pratiques et on demande la révolution. Grâce à cet esprit « radical » et « intransigeant, » nos ouvriers français ont pour adage : tout ou rien. Ils seront partisans d’un collectivisme qui, en le supposant réalisable, ne pourrait être réalisé que dans quelque deux cents ans, et ils refuseront les réformes à la portée de leur main, comme l’association coopérative, qui leur paraît une « demi-mesure. » Aussi M. Jules Guesde, au congrès de Marseille, en 1879, n’eut-il pas de peine à faire voter la motion suivante : « Considérant que les sociétés de