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ans d’apprentissage, habillé par sa famille qu’il voit rarement, il vit dans la boutique, y est nourri et y couche ; le patron doit le soigner s’il tombe malade, mais il a toute autorité sur lui, une autorité paternelle, avec presque autant d’étendue que celle même du père chinois : il le châtie, il n’est pas inquiété si, pour désobéissance ou manque de respect, il le frappe violemment et le tue. Aussi voit-on parfois se noyer de jeunes apprentis trop paresseux ou vraiment trop maltraités. À cette discipline purement commerciale, à cette vie sevrée de tout autre intérêt, le jeune homme gagne une tournure d’esprit, reçoit une marque toute spéciale, et c’est là ce qui contribue le plus à faire des marchands une classe stable, ayant ses tendances à part. Lorsque l’apprenti, au bout des trois ans, est reconnu capable, le père apporte un cadeau d’une valeur appropriée à ses moyens, le jeune homme se prosterne devant le patron et lui exprime ses remerciemens ; la cérémonie se termine par un banquet offert par l’apprenti et où l’on convie quelques commerçans amis, quelques gens du métier : il est rare qu’une circonstance solennelle ne soit pas accompagnée de réjouissances culinaires. Dès lors, le jeune homme est libre de travailler où et comme il l’entend ; mais il n’est jamais délié de ses obligations envers son ancien patron : il doit lui marquer sa reconnaissance par des visites, par des cadeaux aux époques rituelles de l’année, il doit l’aider même de sa bourse, le soigner, assister à ses funérailles.

Désormais le nouveau compagnon s’engage librement, moyennant salaire, là où il trouve de l’emploi, chez son ancien patron ou chez un autre ou dans une autre ville. Selon qu’il a d’intelligence et de chance, il restera toute sa vie dans cette position subalterne ou il s’élèvera plus haut. Le chef des commis, celui qui commande dans la boutique, porte le nom de tchang koei ti, à peu près équivalent à caissier ; c’est lui, en effet, qui détient l’argent, comme fait le patron dans les petites maisons de commerce françaises. Le tchang koei ti est souvent patron, c’est-à-dire qu’il fait les affaires avec son capital et qu’il les dirige en personne. Mais un homme qui, ayant été longtemps commis, a des connaissances techniques et de l’habileté, trouve facilement un bailleur de fonds qui lui confie de l’argent à faire valoir ; il ne s’agit pas d’un prêt, mais d’une association où chacun a sa part des risques et des bénéfices. Celui qui fournit le capital s’appelle le maître, tong kia ; celui qui, donnant son travail et son expérience, est seul à diriger