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est « la langue de l’égalité, un hommage pratique à la liberté, un puissant moyen d’unité morale, » et que « nulle langue humaine n’aura même force de pénétration et pareille action sensationnelle. » — « Il est aussi indispensable que jamais, poursuit-il, pour l’homme qui a les dévouemens du cœur, d’avoir un milieu homogène et gardé pour s’y défendre de la contagion des vices sociaux et jouir de la liberté d’étude et de communication intellectuelle à laquelle font obstacle le tumulte et les aveuglemens du dehors. » Et voilà pourquoi M. Minot, dans son rituel du premier degré, ordonne que le profane qui veut devenir maçon soit conduit, les yeux bandés, au « Cabinet de Réflexions ; » qu’on enlève son bandeau et qu’on lui fasse expliquer, par écrit, quelles seraient ses dernières volontés s’il était sur le point de mourir; que ce « testament, » suspendu à la pointe d’un glaive, soit porté au Vénérable; que le profane, introduit ensuite parmi les Frères, longuement interrogé, soit mené par une route semée d’obstacles au milieu d’un « bruit intense et confus, » produit par les Frères armés de glaives ; et qu’enfin il mette la main à plat sous sa gorge, pour signifier qu’il aimerait mieux avoir la gorge coupée que de violer les secrets maçonniques. Voilà pourquoi, dans son rituel du second degré, M. Minot stipule que le candidat au grade de « compagnon » recevra, à l’aide d’un maillet, d’un ciseau, d’un compas, d’une règle, d’un livre et d’un niveau, des enseignemens sur les sens, les arts, les sciences, les bienfaiteurs de l’humanité et la glorification du travail, et qu’il prêtera un nouveau serment en portant sa main droite à l’endroit du cœur, « les doigts prêts à l’arracher. » Voilà pourquoi, dans son rituel du troisième degré, M. Minot exige que le compagnon qui veut devenir « maître » soit introduit dans une loge tendue de noir et contraint d’enjamber le corps d’un Frère couché par terre, symbole du cadavre de l’architecte Hiram, contemporain de Salomon, qui mourut plutôt que de violer ses sermens. Et voilà pourquoi, enfin, dans son rituel de la loge de table, M. Minot règle la façon dont les Frères, après avoir fraternellement partagé la pierre brute et le sable, doivent, en scandant leurs tuiles avec leurs glaives, porter certaines santés avec des canons de poudre rouge ou de poudre forte, tempérée, s’ils le veulent, par les barriques de poudre blanche qui sont à leur disposition[1].

  1. Pierre brute = pain; sable = sel; tuile = assiette; glaive = couteau; canon = verre: poudre rouge = vin rouge; poudre forte = vin blanc; barrique = bouteille; poudre blanche = eau. — Cf. le récit de l’initiation de M. Andrieux, raconté par lui-même. (Souvenirs d’un préfet de police, t. I, p. 124-137.)