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et qui fut son meilleur envoi de Rome. Il me semble moins heureux lorsque, dans ses sujets mythologiques, il cherché la beauté de la femme. Il n’y met pas toujours toute la souplesse nécessaire. Parfois il alourdissait ses toiles sous l’insistance d’un pinceau trop consciencieux, serrant le dessin jusqu’à la sécheresse. La Peste de Rome, qui n’est véritablement qu’une grande esquisse, est une de ses plus belles œuvres, d’un sens touchant et dramatique.

Mais, la meilleure part de son œuvre se compose de ses portraits. Dans ce genre, il a fait quelques vrais chefs-d’œuvre. Les succès de Delaunay ne pénétrèrent jamais parmi le public et n’intéressèrent que les artistes et les amateurs délicats ; cela prouve que, s’ils ne furent pas toujours brillans, ils restèrent de bon aloi. Il avait une tête monacale, et on n’aurait pas été étonné de le voir peindre dans un couvent à l’exemple des artistes du mont Athos. Il était, je le répète, très lié avec cet autre mystérieux dont parfois il subit l’influence : Gustave Moreau.

Encore un solitaire ! et plus fermé que Delaunay qui, tout en s’isolant, montrait ses œuvres. Le peintre du sphinx, lui, les dérobait à ses meilleurs amis, les cachant avec un soin fébrile, autant par crainte de la mobilité de ses propres impressions que par défiance de celles des autres. Il fuyait les conseils qui eussent pu porter atteinte à sa personnalité, d’ailleurs très complexe et d’ordre composite. De là, cette misanthropie inhérente aux solitaires et qui d’ailleurs n’empêchait pas que, dans ses relations, il fût l’homme le plus séduisant et le plus sociable du monde. Aussitôt qu’il se livrait, il mettait un extrême abandon dans ses confidences, et la plus rigoureuse politesse jusque dans les vives impatiences de son tempérament nerveux. Il avait des enthousiasmes lyriques tenus en bride par ses doutes philosophiques, de la générosité, des élans de cœur, et une vraie indignation contre toute perversité ou duplicité.

En peinture, il faisait grand cas de l’exécution. Il aimait beaucoup celle de Vollon et détestait véhémentement celle de Puvis de Chavannes. On voit que la nature de l’homme était aussi compliquée que celle de l’artiste. Il avait des côtés insaisissables, mais c’était un vrai charmeur, et sa mort a vivement impressionné ses amis qui l’adoraient.

Son œuvre très subtil n’est pas facile à juger d’une façon absolue. Près de certaines recherches chimériques communes aux