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Après tout ce que nous venons d’en dire, on ne nous accusera pas, — ou ce serait à tort, — d’avoir dissimulé les inconvéniens que comporte, pour sa part, la nomination des juges par le chef de l’État, ni d’avoir feint d’ignorer les motifs, parfois étrangers au mérite, qui peuvent dicter le choix. Mais, tout pesé, la nomination est préférable encore à l’élection, surtout avec réélections successives, et surtout avec réélections rapprochées. C’est prendre parti du même coup pour l’inamovibilité de la magistrature ; mais l’inamovibilité elle-même peut, dans l’occurrence, avoir ses dangers ; si, par exemple, ce juge dont nous ne pourrons plus nous défaire, jusqu’à l’âge avancé de la retraite, était nommé à la faveur, tout exprès pour servir un parti politique. L’inamovibilité, qui est une précaution, appelle donc elle-même une autre précaution ; et c’est que la nomination des juges par l’exécutif ne soit pas tout à fait un acte du bon plaisir de l’exécutif.

Il faut lui donner le moyen de soutenir et de repousser l’assaut que lui livre le législatif pour emporter, — qu’on nous passe cet « à peu près » involontaire, — pour emporter « la place. » Il faut le fortifier contre le législatif et contre lui-même. Mais le moyen ? Ne pourrait-on pas décréter que les magistrats seront nommés par le chef de l’Etat, sur la proposition du Garde des Sceaux, et sur la présentation ou après avis d’un Conseil supérieur de la justice, qui ne serait autre que cette cour suprême, dont l’institution à tant d’égards est si désirable, laquelle serait très peu nombreuse et par conséquent très qualifiée pour remplir le rôle de Conseil ? Ainsi qu’auprès du ministre de la Guerre il y a — ou il y avait — un Conseil supérieur de la Guerre, auprès du ministre de la Justice il y aurait un Conseil supérieur de la Justice, qui serait la Cour Suprême de France. Comme celle des Etats-Unis, elle se composerait de neuf membres et se formerait en quelque sorte automatiquement, disons : des trois plus anciens conseillers à la Cour de cassation (qui ne pourraient, étant les plus anciens, avoir été nommés pour la circonstance), des trois plus anciens conseillers d’Etat, et des trois plus anciens membres de la section de législation de l’Académie des Sciences morales et politiques (ou des trois plus anciens premiers présidens de cour d’appel, etc. ). À cette condition, l’inamovibilité pourrait et devrait être étendue le plus possible, car on aurait fait tout le possible afin d’écarter ou de diminuer les causes d’erreur dans le choix des personnes. Et s’il en reste, comme il en restera