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certainement, il faudrait se consoler en pensant que, quoi qu’on fasse, on n’aura jamais que des hommes pour gouverner et pour juger les hommes.


V

En résumé, la Cour Suprême de France aurait pour mission essentielle la défense de la liberté. Elle ferait respecter par tous les pouvoirs, même par le législateur, la loi constitutionnelle et les droits nécessaires du citoyen, pour la sauvegarde pratique et efficace duquel toutes nos déclarations mises bout à bout ne valent certainement pas un arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis.

Les détails seraient d’ailleurs à étudier. Nous n’avons voulu, aujourd’hui, que poser le problème dont voici le bref énoncé : Étant donné que le régime parlementaire, tel qu’il fonctionne actuellement chez nous, aboutit à placer le judiciaire dans la dépendance du législatif, de qui dépend déjà l’exécutif, et par suite à la confusion des pouvoirs ou à la réduction en fait des trois pouvoirs à un seul, à leur absorption en lui ; comment mettre un terme à cette confusion, comment libérer en même temps l’exécutif et le judiciaire, et, par l’indépendance suffisante de chaque pouvoir, garantir la liberté des citoyens ? — Réponse : En substituant au parlementarisme illimité, à l’anglaise, le parlementarisme limité, à l’américaine. — Mais comment opérer cette substitution ? Comment « limiter le parlementarisme ? » — Réponse : Par l’action régulière d’une haute juridiction qui, comme la Cour Suprême des États-Unis, veillera, quand elle en sera requise dans les formes et pour des cas nettement spécifiés, à ce que le législatif lui-même ne franchisse pas les bornes constitutionnelles.

L’institution d’une Cour Suprême de France rendrait à la démocratie ce « pouvoir modérateur, » ce « pouvoir judiciaire des autres pouvoirs » qu’elle n’a plus ; elle l’enrichirait d’un organe dont elle ne saurait se passer plus longtemps ; et, s’il est permis de le répéter encore, elle contribuerait puissamment à cette « organisation de la démocratie, » qui est, dans l’état présent des choses, la seule question politique à laquelle il vaille la peine de s’intéresser, et la seule œuvre politique à laquelle il vaille la peine de se dévouer.


CHARLES BENOIST.