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les sauvera ! On tirera de la masse informe de ces vieilles bâtisses du XIVe ou du XVe siècle, les rares morceaux dignes d’être vus et on les mettra dans un musée. Tout le monde y gagnera, même les esthètes, puisqu’ils trouveront rassemblés dans une même salle et qu’ils verront, en dix minutes, tous ces détails qui, dispersés sur des murs sans intérêt et dans des ruelles impraticables, leur auraient demandé cinq ou six heures pour être à grand’peine découverts ! En travaillant pour les utilitaires, nous travaillons aussi pour vous.

En face des jolies choses voulues par la Nature, on a pris le même parti. Dans ce Paris, qui n’est pas une ville esthétique, mais qui serait cependant si beau sans ses embellissemens, on conserve et on détruit avec un semblable acharnement. Les étrangers artistes en sont stupéfaits. « Quiconque, dit Ouida, revient à Paris, après une absence de quelques saisons, trouve la splendeur de sa vie plus obscurcie tous les dix ans par l’empoisonnement de l’atmosphère que cause le nombre toujours plus grand de fabriques, de chemins de fer et d’autres travaux et par l’extension de la ville parmi les jardins, les vergers et les bois qui lui formaient autrefois une admirable ceinture. » Mais, en revanche, le moindre morceau badigeonné de couleurs est rentré, étiqueté, conservé, forclos. On a supprimé du ciel parisien cette délicate harmonie de ruines noires et de vertes frondaisons, dont vingt-huit années avaient effacé l’acre souvenir et souligné la triste beauté, — pour y édifier une gare de chemin de fer. De ce palais du silence, on a fait le palais du bruit. Mais on en a retiré précieusement quelques médiocres vestiges des fresques d’un des plus médiocres décorateurs du second Empire et l’on va leur consacrer pompeusement quelque salle de musée. — Dans ces prisons, la vie moderne renferme même les oiseaux et les fleurs. Dans toute l’Europe méridionale, on dépeuple les bois de leurs petits oiseaux, qu’on tue, qu’on empoisonne, qu’on écrase dans les nids, qu’on prend par millions aux roccoli. Bientôt l’on pourra mettre au Muséum les derniers exemplaires de certains oiseaux que, nos pères et nous, aurons, pour la dernière fois, entendus chanter. Si l’on veut en garder la forme et la voix, qu’on les fasse chanter devant le phonographe et qu’on appelle ensuite le taxidermiste ! — car les temps sont proches où l’espèce entière aura péri. Mais les cages de nos jardins zoologiques sont pleines.

Les oiseaux ainsi catalogués, il arrivera un jour où l’on mettra