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Si nous regardons le long des murs, nous y voyons les figures des Panathénées mises sous verre comme des ossemens de saints, comme de petits coléoptères morts ou des fleurs séchées. Par endroits, on a restauré. Ainsi, dans le morceau de frise qui représente les divinités féminines, la partie inférieure et le bras gauche de plusieurs figures n’ont été reconstitués que par des moulages pris il y a cent ans, et ces plâtres mal faits ont été insérés dans le marbre primitif. C’est ainsi qu’avec beaucoup de peine on a serti quelques fausses pierres dans un encadrement de pierres précieuses.

Ailleurs, se presse une grotesque et lamentable armée, composée des restes de beaux vieux monstres à barbe de fleuve et à corps de cheval et de jeunes héros cul-de-jatte, se livrant, deux par deux, à des pugilats chimériques. Un Lapithe qui n’a point de mains veut étrangler un Centaure qui n’a pas de gorge. Certains brandissent des épées absentes. Un homme-cheval sent quelque chose sur sa croupe, il se retourne pour dévisager l’agresseur, et il n’a point d’yeux. Un cul-de-jatte cherche à piétiner son adversaire terrassé et à lever au ciel ses bras coupés afin de célébrer sa victoire. La peau de lion qui pend à son bras semble vouloir dévorer le Lapithe mort. Tel autre n’a sur ses épaules que du plâtre : sa tête est à Copenhague. Cet homme-cheval boite : une de ses jambes est restée en Grèce. Ce jeune Grec n’a pas d’yeux pour voir le Centaure sur lequel il s’élance fougueusement : son visage est au Louvre. Là, le Lapithe a grimpé sur les flancs du Centaure qu’il fait plier, a saisi le monstre par la barbe. On s’imagine que c’est sa propre tête qu’il porte ainsi à la main. Ici, le Centaure n’a plus de buste, n’est plus qu’un cheval et, ainsi, le Lapithe, tombé à terre, n’est plus qu’un cavalier maladroit…

Au milieu de la galerie, sur un piédestal, se tient une femme aux mains coupées, à la coiffure géante, à l’aspect architectural d’une colonne humaine. C’est la Cariatide. Pendant plus de deux mille ans, elle a soutenu le portique de la tribune des jeunes filles, avec ses cinq belles compagnes demeurées dans la patrie. Maintenant, il n’y a plus là-bas que son sosie de plâtre traversé par une barre de fer et que la pluie et le soleil ont noirci misérablement. Il n’y a plus ici qu’une exilée, qu’une inutile figure dépaysée, surprise, honteuse de ne plus servir à rien et comme lassée par l’absence de son glorieux fardeau…

Cette tristesse, qui se sent plus vivement peut-être au British