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troubler, par d’inutiles soins, l’œuvre mystérieuse de cette prétendue « marâtre. » Le mot « laissez faire, laissez passer » de l’économiste doit être notre mot d’ordre vis-à-vis d’elle. Laissez le lichen faire des taches à la robe de la déesse ; laissez le lierre passer aux joints du piédestal. Ne soyons pas le Pharisien, dont parle Musset :


Qui croit son mur gâté lorsqu’une fleur y pousse.


Si la plante a jailli, c’est que la terre était bonne et, si le lichen a poussé, c’est que l’air était pur !

Il y a un musée où on l’a compris, et ce musée nous donne un admirable exemple. Rien n’est plus frappant que de l’évoquer à côté du British Muséum. Il est situé à l’autre bout de l’Europe, à Rome. Sa porte monumentale s’ouvre dans une grande stratification curviligne de monumens millénaires et de pauvres bâtisses : pêle-mêle de souvenirs, d’idées et de masures disparates, où furent les Thermes de Dioclétien, où fut une chartreuse, où est encore un asile d’infirmes errans et tremblans. C’est de tous les musées de Rome le moins connu, comme le British Muséum est du monde entier le plus célèbre. Son budget est un des plus faibles, comme celui du British Muséum est un des plus puissans. Il ne contient que ce que la jeune Italie a trouvé sur son sol depuis le Risorgimento. Et, en face de noms comme Phidias, ce musée ne peut citer aucun nom… Il ne fut même pas construit pour y mettre des œuvres d’art. Un cloître, une cour carrée au milieu, entourée d’arcades, une rangée de petites cellules, de romitorii s’ouvrant sur des jardins de poupées avec autant de loggie, quelques salles au premier étage tapissées de nattes sèches où joue le soleil, c’est tout. Mais le créateur de ce musée, M. Barnabei, n’est pas seulement un archéologue, c’est un artiste. Il ne conserve pas seulement les œuvres d’art : il les regarde. Il ne songe pas seulement à les déterrer au bord du Tibre, ou à Subiaco, mais aussi à les replanter et à leur redonner des racines. A chaque œuvre, M. Barnabei cherche longuement l’orientation qui lui convient pour remplacer, le plus qu’il se peut, l’ancienne demeure ignorée ou l’ancien milieu perdu. Il l’isole, et, en l’isolant, la grandit. Il l’éclaire, et, l’éclairant, la ranime. Et, quand ce ne sont que de simples débris, auxquels nul artifice ne pourrait rendre la vie, il ne craint pas de les exposer en plein air. Le long du cloître ouvert et dans le jardin que bordent les arcades de