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travertin, sous le ciel, sous la pluie, il a jeté tout ce qui, débris de statues, sarcophages, colonnes, masques de pierre, peut être sans trop de péril exposé aux injures du temps, et il a laissé faire la nature…

Ce qu’elle a fait, une simple promenade suffit pour en juger. Un des plus beaux matins de la vie est celui qu’on passe, au mois d’avril ou de mai, dans la cour de ce cloître redevenu païen. Lorsque Walter commence devant les Meistersinger le chant qui doit lui donner la victoire, il semble qu’il ouvre un jardin où l’art touche et rejoint la nature dans ses plus secrètes affinités. Telle est l’impression que donnent ces Thermes. Ce n’est plus le lourd silence de la prison. Ce sont les voix tranquilles du jardin. Ce n’est plus ce carré de lueur blafarde qui tombe de la fenêtre d’un musée et que les prisonniers appellent « ciel : » c’est la splendeur du soleil qui, tournant autour des marbres, leur prête la vie lente des ombres et des clartés. Au milieu du carré, sur un bassin qui murmure, un jet d’eau monte comme une tige de lis et retombe comme une poignée de perles. On dirait une chère illusion qui s’est brisée en s’élevant trop haut, mais dont les débris sont encore de petites choses précieuses. Autour d’un vieux cyprès foudroyé, écume la mousse des rosiers banks. Quatre têtes d’animaux de pierre, comme de gigantesques rhytons, sortent des godrons verts de quatre touffes de lierre. Aux coins extrêmes du quadrilatère, le printemps allume des flammes roses sur les branches des amandiers, et le vent agite ces lueurs sans les éteindre. En l’air, à l’extrémité de deux hautes colonnes, en plein azur, grimacent deux masques de pierre où la bouche et les yeux sont figurés par des trous. Dans un musée, on verrait de l’ombre par ces trous. Ici, on voit de la lumière.

Pour le moindre de ces débris, la nature a des intentions infinies. Sur les touffes sucrées nées dans les fentes du marbre, plane la couronne de ces insectes pesans et sonores qui ne savent ni s’élever ni se taire. Dans un coin, est une statue de femme dont la tête fut brisée. Un églantier a posé des branches sur ses épaules ; il a masqué ainsi la coupure du col, et, à la place des seins absens, fleurissent des roses. Les sarcophages, qui se boursouflent extérieurement de figures d’Amours grimpant aux échelles pour vendanger les treilles, sont pleins, intérieurement, non d’ossemens, mais de ronces et de fleurs, comme celui qu’on voit dans l’Amour sacré et l’Amour profane du Titien. Dans un coin,