Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on était loin avec lui des arrangemens factices où s’était perdu le spiritualisme ! Gratry apportait mieux qu’une formule : il révélait l’âme avec ses besoins ignorés, ses aspirations profondes et, si l’on peut parler ainsi, ses intimes tressaillemens.

Je ne viens pas d’étudier la formation de la pensée de M. Ollé-Laprune ; j’ai tenu seulement à montrer les raisons pour lesquelles il se détache de toute formule d’école, pour chercher librement, par une exploration interne, la vérité. On comprend que pour cet esprit affamé de certitude, de réalité, une question devait bientôt l’emporter sur toutes les autres : celle des droits et de la provenance de la vérité, de son action libératrice sur les âmes, des forces de réparation, de consolation et d’union dont elle dispose. A ce problème sont consacrés ses premiers ouvrages : la Philosophie de Malebranche et la Certitude morale. Ceux qui marquent la dernière partie de sa carrière y font encore retour, puisque le Prix de la vie, la Philosophie et le temps présent étudient tour à tour les conditions auxquelles doit répondre l’action pour rejoindre la vérité, la vérité, pour inspirer l’action et se réaliser dans la conduite. Ainsi se manifeste dans ce qu’elle a d’humain et de généreux cette philosophie de la certitude. Elle a posé le grand problème des rapports de la vérité avec la vie ; et comme elle les suit dans les différens domaines où la vie se développe, — vie morale, vie religieuse et vie sociale, — on peut dire qu’elle l’épuisé. En tous cas, elle a nettement conçu l’étroite solidarité des deux parties de ce programme. C’est une action vivante que celle de la vérité ; vivante aussi est l’action de la certitude qu’elle suscite en l’âme, et elle suppose, entretient la vie autour d’elle. Elle ne se déroule pas dans un milieu inerte. Elle inspire et vivifie des énergies existantes ; elle en réveille de latentes, elle en suscite de nouvelles ; jamais elle n’agit dans l’isolement.


I. — LA CERTITUDE

La pensée humaine, quand elle entend se représenter la vérité d’une manière tangible, est exposée à deux tentations toujours renaissantes. Ou bien elle conçoit la vérité comme une forme impersonnelle s’imposant aux esprits et réglant leurs diverses affirmations ; ou bien, se fondant sur les sentimens et sur les croyances, elle demande au cœur de garantir la valeur des vérités qu’elle proclame. Mais, dans le premier cas, l’esprit devient bien