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l’intervention de 1895, comme entraînée dans le sillage de l’entente franco-russe, affirmait avec éclat qu’elle entendait se réserver un premier rôle indépendant. Le voyage retentissant du prince Henri de Prusse, sa réception particulièrement flatteuse au Palais montrèrent qu’il s’élevait à Pékin une influence nouvelle, rivale des plus anciennes. L’Angleterre, du même coup, reprenait la position que ses hésitations de 1895 lui avaient fait perdre : réconciliée avec l’Allemagne, elle enlevait avec elle l’émission très disputée d’un emprunt chinois ; elle la laissait agir à sa guise dans le Chan-toung, satisfaite de briser cette entente russe-française-allemande, — inquiétude perpétuelle de la Grande-Bretagne, — que les événemens avaient faite dans ces lointains parages. La force des choses nous conduisait dans une voie qui n’était point la nôtre ; « nous appréhendions plus qu’aucune autre puissance d’ouvrir la question chinoise[1],  » et, malgré nous, elle était ouverte ; notre prudence même, « le principe éminemment conservateur qui nous guidait,  » nous plaçaient dans un état momentané d’infériorité ; nos demandes se produisirent les dernières et furent les plus modérées. Depuis l’intervention de 1895, nous avions, en Chine, avec les Russes, exercé sur la marche de la politique une action directrice ; nous étions réduits, après Kiao-tchéou, à suivre un élan que nous n’avions pas donné ; nos avis étaient moins écoutés au Tsong-li-Yamen, et, malgré la concession du chemin de fer Pékin-Han-kéou, que nous obtenions pour un syndicat franco-belge, notre influence à Pékin faiblissait.

Lorsqu’il apparut que notre dignité nous obligeait à réclamer la concession d’un port, ce fut la baie de Kouang-tchéou-ouan, voisine du Tonkin, qui fut choisie. Elle s’enfonce dans les terres, à l’est de cette péninsule du Lei-tchéou qui s’avance dans la mer à la rencontre d’Haï-nan et ferme à l’orient le golfe du Tonkin. Au point de vue commercial, cette rade n’a qu’une valeur insignifiante ; mais, au point de vue stratégique, la position a son prix. La baie qui, dès les premiers mois de 1895, avait été étudiée par le Lutin, est assez profonde pour les grands bâtimens ; plusieurs passes, très sûres quand on les a une fois reconnues, y mènent. Kouang-tchéou-ouan est un poste de grand’garde en avant du Tonkin ; il en protège les avenues, il menace la grande voie commerciale de Hong-kong à Singapour ; il pourra être un

  1. M. Hanotaux à M. le baron de Courcel, 20 mars 1898. Livre jaune, n° 62.