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excellent refuge pour des torpilleurs, qui s’avanceraient de là jusque dans les parages de Hong-kong et se retireraient sans danger, en se glissant le long de la côte parmi le dédale des îles. En plantant son drapeau sur cette position, la France, — ainsi que l’avait fait dans le nord la Russie, — a voulu surtout marquer, comme par un jalon, que tout le pourtour du golfe du Tonkin rentre dans sa « sphère d’activité » et qu’elle n’y admettrait l’intervention d’aucune puissance étrangère. Déjà nous avions obtenu (15 mars 1897) une « déclaration » du Tsong-li-Yainen portant que jamais l’île d’Haï-nan ne serait aliénée sous quelque forme que ce fût au profit d’une puissance quelconque. En même temps que la baie de Kouang-tchéou-ouan nous était cédée à bail pour 99 ans, une « déclaration » analogue nous fut accordée pour les trois provinces qui avoisinent le Tonkin (Yun-nan, Kouang-si, Kouang-toung)[1].

L’occupation de Kouang-tchéou-ouan et les « déclarations d’inaliénabilité » caractérisaient notre politique en Extrême-Orient : conserver notre influence à Pékin à titre d’amis du Fils du Ciel, de gardiens de son indépendance et de l’intégrité de ses États ; obtenir, grâce à cette intimité, la sécurité de nos frontières et des avantages qui nous permissent de promouvoir et de diriger, dans les provinces méridionales de l’Empire, un développement économique dont nous serions les premiers à profiter, telles en apparaissaient les maximes essentielles.

Selon les pays et les circonstances, les mots changent de sens -et les formules de contenu. En Afrique, les « sphères d’influence » ont été délimitées par des traités entre les gouvernemens européens, et la démarcation de ces zones a abouti à un véritable partage du continent noir. Rien de pareil en Asie : une analogie apparente a pu causer des méprises ; on a parlé trop tôt du « partage de la Chine,  » comme si l’on « partageait » un empire de 400 millions d’hommes avec autant de facilité qu’un Sahara ! On nous accuse volontiers de vouloir nous approprier des morceaux de l’Empire du Milieu et c’est à nous que l’on fait allusion lorsqu’on dénonce « la politique égoïste » de certaines puissances[2]. Il y a là une confusion, peut-être voulue, qu’il importe de dissiper. Ces déductions trop hâtives reposent uniquement sur les

  1. Déclaration du 10 avril 1898. Livre jaune, n° 65, annexe 2.
  2. Lord Charles Beresford, The break-up of China. Londres et New-York, Harper, 1 vol., 1899 (p. 439).