Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

va-t-il répétant que l’élément intellectuel a partout un rôle persistant ; que, s’il y a une foi primitive, il y a aussi une évidence primitive, inséparablement unies toutes les deux dans les affirmations initiales de la raison ; que c’est ce même mélange d’évidence et de foi que nous pouvons constater dans nos convictions morales et religieuses. C’est l’intelligence qui connaît qu’il y a lieu de croire, qu’il faut croire, que c’est un devoir de croire ; c’est elle qui connaît les raisons de croire. « Ainsi, nous ne substituons jamais à l’entendement le sentiment, à la lumière intellectuelle les secrètes inspirations de la conscience. Nous voulons que l’homme demeure complet et que chaque chose en lui reste à sa place. Nous défendons l’intégrité de la nature humaine contre tous ceux qui la méconnaissent, aussi bien contre ceux qui absorbent l’élément intellectuel dans l’élément moral, que contre ceux qui négligent ou suppriment l’élément moral lui-même[1]. » Il sera donc frappé de l’acharnement de tant de penseurs à ébranler les bases de toute connaissance dans l’intention de mieux établir la certitude des vérités morales. Cette hardiesse l’étonne, le déconcerte. Il admire, non sans quelque appréhension, la générosité et la vaillance d’une affirmation que les obscurités et les mystères, bien loin de rebuter, attachent à ces hautes vérités et qui demeure avec elles quand tout se déclare contre elles. Il se demande avec inquiétude si ce solennel défi jeté à la raison est un hommage de plus à l’excellence des vérités morales, et il en doute. « Ces antinomies qui embarrassent un instant l’esprit inattentif ou présomptueux, on les traite avec sérieux et gravité, on s’y arrête avec complaisance, on les déploie, on les étale en tous sens, on les grossit même comme si le triomphe de la foi devait éclater dans le mépris qu’on fait ensuite de ces fantômes redoutables. Fantômes pour la foi ; difficultés très réelles, assure-t-on, pour la raison. La raison dément la foi ; qu’importe ; ou plutôt tant mieux. La foi se moque de la raison et trouve dans ces oppositions une force nouvelle et une vérité de plus. Ainsi une sorte de mysticisme, et parfois, si je l’ose dire, je ne sais quel fanatisme moral cache à des esprits séduits les dangers de ce prétendu triomphe de la foi sur la raison[2]. »

Peut-être, cependant, ne serait-il pas très difficile de montrer une foncière ressemblance entre cette théorie de la certitude et

  1. De la Certitude morale, p. 285.
  2. Ibid.