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encore d’en retrouver et d’en provoquer au dehors la mobile image. C’est donc une des singularités les plus remarquables de cette philosophie que de retrouver le catholicisme au bout de toutes les avenues que la vie a librement ouvertes devant elle : c’est un fait, que M. Ollé-Laprune est chrétien dans la mesure où il est philosophe, ou que, plus exactement, il est philosophe et chrétien dans la mesure où il croit en la raison et en la vie.


Quelque jugement que l’on porte sur un tel programme on ne saurait méconnaître qu’il nous ramène à la plus importante des sources d’inspiration de cette noble pensée. Là est l’unité de cette philosophie : c’est là ce qui lui permet de franchir les diverses étapes de son progrès spirituel et de chercher en une tranquille dialectique le terme, tout d’harmonie et de lumière, où elle doit trouver le repos. Car si ce dessein est le produit d’un pur travail d’esprit, il ne faut négliger ni l’intervention du christianisme, ni ce qui fit en l’espèce la légitimité de cette intervention. Peut-être, en effet, tenté par les sévères beautés d’un haut rationalisme, l’auteur de la Philosophie de Malebranche eût-il accepté cette notion d’un être indéterminé qui fascine et absorbe les intelligences dans la contemplation stérile de son néant, et eût-il donné l’infini, non comme une cause d’éblouissement et de vertige, mais comme une extrémité où la pensée de l’homme pouvait se complaire ; seulement, le christianisme est là qui le retient sur la pente en lui montrant dans la conscience l’image vivante du Dieu vivant. De même, Aristote lui présente un tableau presque complet de la vie, et dans cette conception d’une vie réglée, sereine, harmonieuse, donnée comme l’épanouissement d’une nature qui goûte, dans la conscience de l’homme de bien, la joie d’être pleinement[1], qu’il devait être tentant de voir la formule explicatrice ! Mais non ; le christianisme vient briser brusquement l’harmonie du rêve antique ; il introduit dans les âmes je ne sais quelle inquiétude et quel égarement divin qui les forcent de regarder ces arrangemens comme provisoires et de les déserter pour l’ordre supérieur de la sublimité morale. Enfin la tentation devait être aussi bien grande d’ériger en loi suprême de l’action et de la pensée le devenir moral lui-même : saisir les idées à l’état naissant baignées des

  1. Essai sur la Morale d’Aristote, chap. II.