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dater de ce jour, non seulement il ne me créa plus de difficultés, mais, à plusieurs reprises, il me communiqua des renseignemens intéressans. Quant au capitaine Von X…, je n’en entendis plus parler : il était « brûlé » et ne reparut pas à Bayonne.

Aux termes des traités en vigueur entre la France et l’Espagne, chacune des deux puissances s’est obligée à interner à 120 kilomètres de la frontière les nationaux de la puissance voisine, à première réquisition de leur gouvernement. La France n’a pas souvent usé de ce droit en Espagne ; l’Espagne en a abusé en France.

J’ai déjà dit combien l’émigration espagnole était nombreuse à Bayonne. Il n’en fallait pas beaucoup pour que le consul d’Espagne prît ombrage de tel ou tel réfugié. Un propos imprudent, des fréquentations suspectes, des délations dictées par la sottise ou l’inimitié personnelle, suffisaient à motiver des demandes d’internement. Nous n’avions pas à discuter ces demandes, mais à y déférer. Il faut avouer qu’il était profondément désagréable, pour des gens installés dans un pays qui leur était familier et sous un climat méridional, de se voir, du jour au lendemain, contraints de transporter leur établissement dans une ville inconnue pour eux du nord de la France. Il me semblait au moins inutile d’aggraver cette mesure de rigueur par des procédés brutaux. Je laissais donc les internés se rendre librement au lieu de leur destination, lorsqu’ils me donnaient leur parole d’honneur de le faire dans le délai que je leur assignais. Sur le nombre de ceux qui prirent cet engagement d’honneur (et ce nombre dépasse un millier), un seul manqua à sa parole : tant le point d’honneur a d’empire sur les Espagnols.

Par un traité conclu sous l’Empire, mais non promulgué, le gouvernement de la reine avait obtenu le droit de provoquer, de la même manière que les internemens, l’expulsion de ses sujets résidant en France. Les Espagnols s’en prévalaient souvent pour réclamer des expulsions, Le préfet leur répondait qu’il n’était pas lié par un traité non promulgué, et qu’il ne déférerait à leurs demandes que si elles étaient motivées et justifiées. Ce dissentiment fut la cause de nombreuses difficultés et de violentes attaques contre M. de Nadaillac. Je n’agis pas autrement que lui, lorsque je fus appelé à lui succéder.

Bayonne offrait à cette époque un bien curieux spectacle. Les Espagnols y fourmillaient, et, comme ils aiment par-dessus tout la