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soupçonnent même pas) : une marge incertaine à la durée d’une vie déjà longue. Mais à cette date, d’ailleurs imprécise, chacun rattache l’exécution de ses plans, la satisfaction de ses désirs, et l’on dirait des héritiers attendant, en un grand silence, l’ouverture d’un testament.

Une telle question pourtant, et de telle conséquence, ne va point sans questions préalables. Tout d’abord celle-ci : y aura-t-il un testament ? C’est-à-dire : y aura-t-il une succession pour d’autres que pour les héritiers naturels ; legs universel ou partiel, ou portions en déshérence sur lesquelles les convoitises étrangères trouveraient à s’apaiser ? En termes moins enveloppés, à l’échéance prévue, ou à une échéance quelconque, y aura-t-il une dislocation de l’Autriche-Hongrie ? S’il y en a une, jusqu’où ira-t-elle ? Si elle va jusqu’au bout, comment se fera le partage ? Et entre qui ? Et qui aura les bons morceaux ? Et tout le monde en aura-t-il ? Ceux qui n’en auront pas recevront-ils autre part autre chose en compensation ? D’où une question encore : y a-t-il intérêt, et pour qui, à ce que cette dislocation, ce partage, et ces remaniemens aient lieu ? Ce sont ces diverses questions que nous voudrions successivement examiner, afin que le problème soit posé, — puisqu’on le pose, — dans ses données exactes ; pour fournir aussi aux « hommes à idées » quelques « renseignemens » utiles, et tâcher d’aider à ce que, dix ans après Bismarck, presque trois cents ans après Richelieu, et presque quatre cents ans après Machiavel, les politiques se pénètrent enfin de cet axiome qu’il n’y a de politique que de la réalité.


I

Or, voici la réalité. Il existe, au milieu de l’Europe et pour ainsi dire sur son axe, une puissance officiellement double et composée de deux États : l’empire d’Autriche et le royaume de Hongrie, réunis sous le nom complaisamment élastique de Monarchie austro-hongroise. Monarchie en effet, si l’on ne regarde qu’à la personne du souverain, qui est le même pour les deux Etats, pour l’empire et pour le royaume ! Mais, dès qu’au contraire on regarde aux gouvernemens et aux peuples, l’Autriche-Hongrie est une dyarchie et une polygénie ; c’est un assemblage de pays et une rencontre de races. Elle est faite surtout de cinq ou six grosses pièces : à l’ouest, des Allemands ; au nord,