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au nord-est et au sud-ouest, des Slaves ; au centre, des Magyars ; vers le sud-est, des Roumains, et un groupe italien sur le littoral adriatique. Autant de religions que de races, et autant de langues, et autant d’histoires, et autant de législations. L’extrême mobilité dans le temps, l’extrême variété dans l’espace ; en cette mobilité nulle fixité, en cette variété nulle unité, que la seule personne du souverain, empereur et roi, Habsbourg ; mais fixité et unité au moins relatives, tant qu’il y aura un empereur et roi de la maison de Habsbourg[1]. Conglomérat artificiel et mosaïque de nations, qui, tant bien que mal, tient par l’Empereur. Faisons donc, nous aussi, comme les « hommes à idées, » et jetons-nous, pour un moment, dans les aventures de l’hypothèse, à travers le champ sans limite des si. Et donc, si tout à coup le conglomérat austro-hongrois ne tenait plus, où s’en iraient les plus larges plaques de la mosaïque ?

Quand on observe ce qui se passe en Autriche-Hongrie et ce qui s’est passé en Europe au cours du dernier demi-siècle, il apparaît que la règle directrice des déformations et réformations, des transformations des peuples, la grande force agissante, c’est le principe des nationalités. Encore que ce soit chose assez confuse que « la race, » et chose assez difficile à reconnaître que « la nationalité, » c’est en vertu de ce principe que, au dehors, Napoléon III, à qui l’on en doit la formule, a revendiqué la Savoie et que Guillaume Ier a pris l’Alsace ; c’est en vertu de ce principe que, dans la Monarchie même, les Polonais ont obtenu une certaine autonomie ; que les Tchèques, à leur tour, la réclament contre les Allemands, les Slaves ou les Roumains de Hongrie contre les Magyars ; et c’est toujours en vertu du principe des nationalités que, se tournant vers l’extérieur, tout ce qui est allemand en Autriche-Hongrie tend à s’écarter de ce qui ne l’est pas et à se rapprocher de la masse allemande ; tout ce qui est slave à se séparer de ce qui est allemand ou magyar et à se laisser attirer par la masse russe ; et de même pour les groupemens plus petits : Italiens du Trentin et de Trieste, et Roumains de Transylvanie. Le principe des nationalités, ici comme partout, développe une force à la fois de divergence et de convergence, et l’on est, par suite, fondé à conclure que c’est en vertu de ce principe et sous l’action de cette force en même temps « dissociante » et

  1. Aux termes de la Pragmatique Sanction de 1713 (Hongrie 1723), expressément rappelés par le Compromis de 1867.