Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avoir exclu l’Autriche de l’Allemagne, il n’était pas pressé de l’y réintroduire, même à l’état nominalement allemand. La crainte salutaire d’une Allemagne autrichienne contre-balançait heureusement en lui l’amour ou le désir, s’il l’eût éprouvé, d’une Autriche allemande.

Et comme il ne chevauchait pas la chimère, comme sa politique était la plus réaliste et la plus positive qui se puisse concevoir, comme il vivait le jour présent, minute par minute, et non, vingt ans à la minute, de fantastiques lendemains, il aimait mieux l’Allemagne ayant à ses côtés l’Autriche battue et alliée, que travaillée en ses entrailles par une Autriche déchiquetée et palpitante encore. — Ce mangeur formidable savait par expérience que, surtout lorsqu’on’ se repaît de nations, ce qui « profite », ce qui fortifie, ce qui fait « grandir, » ce n’est pas ce qu’on absorbe, c’est ce qu’on s’assimile. Et l’Allemagne, étant plus une sans l’Autriche, sans elle il la jugeait assez grande.


IV

Mais, s’il est au moins contestable qu’il soit de l’intérêt de l’Allemagne de devenir, aux dépens et sur les ruines mêmes de l’Autriche, cette « plus grande Allemagne » dont le contour commence à se dessiner dans les songes de quelques hommes d’Etat trop échauffés, un pareil agrandissement peut-il être de l’intérêt certain des autres puissances, éventuellement et hypothétiquement co-partageantes ? Fût-il de leur intérêt particulier, comme toutes les puissances ne co-partageraient pas, serait-il de l’intérêt de l’Europe en général ?

Premièrement, de l’intérêt des puissances co-partageantes. Par hypothèse, et en vertu du principe des nationalités, ces puissances seraient l’Italie, la Russie et la Roumanie, — réserve faite de la Hongrie.

L’Italie recevrait tout au plus le Trentin et les vallées ladines du Tyrol ; quant à Göritz, elle serait considérée par l’Allemagne comme le chemin ou la porte, et l’Istrie, comme le prolongement ou l’enceinte de Trieste. Avec Göritz et l’Istrie allemandes, une moitié des terres irredente, et non pas la moins aimée, serait plus que jamais et probablement à jamais irredenta : du jour où l’Allemagne les baptiserait allemandes, où elles entreraient dans le cercle impérial, il faudrait laisser là l’espérance. Et le spectacle