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l’ancien lord-maire, député de la Cité à la Chambre des communes et qui s’était fait son champion. Son entrée dans Londres le 7 juin eut un caractère triomphal. La foule s’était portée à sa rencontre jusqu’à Greenwich. La reine se rendit chez Wood, où elle avait pris domicile, par les quartiers les plus populeux, accompagnée d’un grand nombre de voitures, escortée de piétons et de cavaliers et au milieu d’acclamations. Quand Decazes entra en possession de son ambassade, le mémorable procès sur lequel nous aurons à revenir commençait. La ville était frémissante. Depuis trois ans, et à l’occasion des élections, l’Angleterre avait été fréquemment le théâtre d’émeutes sanglantes. Par surcroît, au mois de février, on avait découvert un complot ourdi contre le gouvernement. Les conjurés projetaient d’assassiner les ministres, d’ouvrir les prisons, de piller la Banque et d’incendier les plus riches habitations de la capitale. Ces sinistres desseins avaient été déjoués. Mais ils laissaient un terrain tout préparé pour de nouvelles émeutes et déjà le procès de la reine, quoiqu’il ne fît que commencer, en engendrait de quasi quotidiennes. Autour de la maison qu’habitait cette princesse, se formaient, du matin jusqu’au soir, des attroupemens. Ils obligeaient les passans à saluer la résidence royale et les lapidaient s’ils n’obéissaient pas. Il y en avait d’autres aux abords du Parlement. Des gens du peuple huaient et invectivaient les membres de la Chambre haute, brisaient les vitres de leurs voitures ou même celles de leurs demeures. Des personnages ordinairement respectés, tels que le duc de Wellington ou lord Hertfort, n’étaient pas plus épargnés que les diplomates étrangers et notamment les ambassadeurs de Russie et d’Autriche, le comte de Liéven et le prince Paul Esterhazy. Cette foule avait pris parti pour la reine. Sur le passage du roi, dans les lieux publics, dans les salles de théâtre, elle lui criait :

— George, qu’as-tu fait de ta femme ?

C’est dans les lettres de Decazes à son souverain que nous relevons la plupart de ces détails, comme d’autres qu’on lira plus loin[1]. Elles décrivent l’état d’agitation et de trouble où l’ambassadeur de France trouva la capitale. Elles racontent les multiples incidens de cette crise, une des plus graves qu’eût traversées l’Angleterre, si grave en effet qu’elle semblait préparer

  1. On en trouve également dans les Mémoires de Charles C. -F. Greville.