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la chute du cabinet tory. On lui reprochait de s’être fait l’instrument des rancunes du roi contre la reine Caroline, tandis qu’au contraire, les whigs semblaient vouloir embrasser la cause de cette princesse et s’obstinaient à la défendre. Ni ces pénibles événemens, ni les craintes qu’ils engendraient n’avaient d’ailleurs rien changé aux usages diplomatiques et aux habitudes de la Cour. Decazes y fut reçu avec les plus grands honneurs. C’est à Carlton House, une des résidences du roi, que la réception eut lieu le 20 juillet.

Annoncé déjà au souverain britannique par une lettre de Louis XVIII en date du 21 février, Decazes était chargé de lui en remettre encore deux, l’une officielle, l’autre particulière. La lettre officielle, conçue en termes extrêmement flatteurs pour le représentant du roi de France, n’aurait pu cependant être comparée à la lettre particulière qui constituait une recommandation de beaucoup plus chaleureuse que ne le sont à l’ordinaire ces sortes de documens. Datée du 5 juillet, et entièrement écrite de la main de son auteur, elle était destinée à assurer à l’envoyé français l’intérêt et l’amitié du roi d’Angleterre[1].

« Monsieur mon frère, le duc Decazes remettra ses lettres de créance à Votre Majesté. Moi, j’ose croire, espérer même, qu’elle serait étonnée si je ne le chargeais pas d’une lettre particulière. J’y vais ouvrir mon cœur tout entier à mon auguste ami. « Dans ma lettre du 21 février, je vous disais qu’en sortant du ministère, le duc Decazes n’avait rien perdu de mon estime, ni de ma confiance. Je disais bien vrai et je puis ajouter que, si les choses étaient en France comme avant la Révolution, il serait resté mon ministre jusqu’à ma mort. Mais la Constitution qu’à mon retour dans ma patrie, j’ai dû donner à mon peuple, offre trop d’analogie avec celle de la Grande-Bretagne pour que Votre Majesté ne comprenne pas qu’il est des cas où je dois immoler l’homme au roi ; c’est ce qui est arrivé.

« Une suite de machinations ourdies par la haine, secondées par la faiblesse et la trahison, a fait perdre au duc Decazes la majorité dans les deux Chambres[2] pour des lois qui étaient son ouvrage, que je l’avais chargé de proposer et auxquelles Votre

  1. Comme la plupart des documens insérés dans cette étude, cette lettre est inédite, sauf le dernier alinéa.
  2. Le roi outrepassait ici la vérité. Il n’était pas très exact de dire que Decazes avait perdu la majorité alors qu’aucun vote n’en avait fait la preuve.