Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/309

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Majesté aura sans doute remarqué qu’on a fini par revenir. Cette majorité une fois perdue, ma conduite était tracée par celle que votre auguste père tint à l’égard de lord Bute[1]. Mais, plus heureux que ce vénérable monarque, j’ai pu adoucir ma peine, en confiant au duc Decazes la mission la plus importante en politique et la plus touchante pour mon cœur et pour le sien.

« Maintenant, ô mon cher George (passez-moi l’expression), trouvez bon que je sollicite, non pour mon ambassadeur, mais pour mon ami, les bontés dont votre lettre du 25 février me donne la douce assurance. Mon ambition va plus loin. Ce n’est pas seulement votre amitié que je vous demande pour lui ; c’est encore votre estime et votre estime raisonnée. Daignez l’admettre à converser librement avec vous, vous permettre de vous faire lire au fond de son âme, et je suis sûr que vous direz : mon ami Louis n’avait pas mal placé sa confiance et son amitié. »

Recommandé en de tels termes, Decazes ne pouvait attendre qu’un accueil exceptionnel. Son espoir ne fut pas trompé. Il raconte à Louis XVIII que George IV a prolongé très gracieusement cette première audience, couvrant d’éloges le roi de France et son ambassadeur.

« — Votre roi, a-t-il dit, est le plus aimable et le plus éclairé de l’Europe. Ne fût-il d’ailleurs que simple particulier, son amabilité et ses lumières n’en seraient pas moins remarquables. »

Avant et après l’audience, toute la Cour, les ministres, le corps diplomatique, se font présenter à l’envoyé de France. Lui-même est admis à offrir ses hommages aux membres de la famille royale : le duc d’York, le duc de Clarence, le duc de Cambridge. Puis, lorsque, à l’issue de cette brillante réception, il rentre à l’ambassade, c’est une autre joie qui l’attend. Il trouve une lettre de Louis XVIII, que le courrier des Affaires étrangères vient d’apporter, écrite quatre jours auparavant, lettre bien faite pour lui prouver que son prince ne l’abandonne pas et pour le venger de ses ennemis dans un moment où certains journaux de Londres, soudoyés par les ultras, ont salué son arrivée en reproduisant les attaques dont il est l’objet à Paris.

« Voici, mon cher duc, la première lettre que je vous adresse

  1. Favori de George III et longtemps son ministre, lord Bute succomba sous son impopularité. Les nouveaux ministres exigèrent que le roi l’éloignât sans lui accorder aucune fonction nouvelle. C’est à propos de lord Bute, au temps de sa faveur, que lord Chatham s’écriait : « Je vois derrière le trône quelque chose de plus grand que le trône ! »