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« Hier, au moment où le Procureur général résumait les charges contre la reine, elle passait en bateau devant la Chambre des pairs et était saluée par le canon des batteries. Ces hommages qui retentissaient dans la salle contrastaient singulièrement avec les ordures que les mêmes oreilles entendaient.

« Vous avez vu que le Procureur général a renoncé au délai qu’il demandait pour que les deux témoins qui ont rebroussé chemin à Beauvais pussent arriver. Il paraît que Brougham, de son côté, renonce à celui qu’il devait réclamer pour faire venir les témoins à décharge et qu’il prendra seulement huit jours pour préparer sa défense.

« La reine cessant de venir au Parlement depuis quelques jours, il n’y a plus d’affluence autour de la Chambre. On annonce qu’elle paraîtra la semaine prochaine à Covent-Garden, où l’on donnera une pièce de circonstance. Toutes les allusions qui se présentent aux divers théâtres sont saisies avec avidité. Mais il est évident maintenant que le danger n’est plus dans le peuple, mais dans les Chambres mêmes, et surtout dans celle des Communes, où tout paraît faire craindre que le bill ne soit rejeté s’il arrive jusque-là. »

Ainsi, le procès s’aggravait sans qu’il fût possible d’en prévoir les conséquences. La cause de la reine, qui avait jusque-là recruté ses défenseurs dans le peuple, en trouvait de nouveaux dans les classes supérieures. « Leur nombre augmentait tous les jours. » Les meetings tenus en faveur de la reine se succédaient, toujours plus nombreux. A la suite de l’un d’eux, une adresse lui fut présentée « par plusieurs centaines de dames, » qui se rendirent à Wood-House en voiture à quatre chevaux. Decazes raconte encore que, s’étant trouvé de nouveau à la Chambre des lords à côté de Tierney, ce dernier lui répéta que la reine était folle. Il ajouta :

— On arrivera nécessairement à parler de la vie privée du roi, et nous en entendrons de belles. Vous voyez bien tous ces seigneurs, fit-il en montrant les pairs et les ministres, il n’y en a pas un qui sache ou puisse prévoir comment tout ceci va finir.

— Mais ils affirment que le bill sera voté, objecta Decazes.

— Dans cette Chambre peut-être, mais non dans la nôtre, affirma Tierney. Je la connais aussi bien qu’eux. Elle ne votera jamais l’article du divorce.

Les incidens se déroulaient donc en s’aggravant. Les avocats