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de la reine voulaient assigner la marquise de Conningham. « La reine se fera fête de se trouver là et de la regarder en face, et le peuple ne manquera pas de bien accueillir cette pauvre marquise, dont le mari fera à la Chambre une singulière figure. » Le roi était terrifié par cette menace d’assignation. « Il a maigri de moitié en quinze jours. » Lorsqu’il venait de Windsor à Londres, lorsqu’il y retournait, il entendait les murmures et les huées de la foule. A ses croisées de Carlton-House, il pouvait voir le long défilé des voitures qui conduisaient les porteurs d’adresses à la résidence de la reine : « plus de cent voitures attelées à quatre chevaux. »

En même temps, l’audition des témoins venus pour déposer dans le sens de l’accusation mettait en lumière des contradictions inattendues. À la séance du 10 septembre, il y eut deux de ces témoins dont on attendait des dépositions accablantes, qui furent favorables à l’accusée. Ils devaient être entendus de nouveau le lendemain. Mais le Procureur général les fit partir le même soir, ce dont la défense ne manqua pas de tirer parti. Pour un troisième, ce fut autre chose : « Le lieutenant Flynne s’est coupé et sa déposition a tourné contre lui. Mais on a découvert qu’il n’avait pas la tête saine, de telle sorte qu’on ne pourra tirer parti de ce qu’il a dit ni pour ni contre. »

Enfin, les divisions que le procès avait déchaînées dans le pays se reproduisaient dans la famille royale. Tandis qu’un des frères du roi, le duc de Clarence, prenait violemment parti contre la reine, les autres, le duc d’York et le duc de Cambridge, tout en condamnant leur belle-sœur, blâmaient ce procès néfaste. Leur neveu, le prince Léopold de Cobourg, veuf de la princesse Charlotte, fille de George IV, allant encore plus loin, soutenait ouvertement la reine, multipliait ses visites chez elle et lui offrait de la recevoir à Claremont, « démarche très inconsidérée » qui exaspérait le roi et donnait lieu à de pénibles scènes dans l’intérieur royal, où Léopold était accusé de n’agir ainsi qu’il le faisait que pour sauver sa dotation de cinquante mille livres, si les radicaux arrivaient au pouvoir.

Ainsi apparaissait en pleine lumière l’inexcusable faute commise par les ministres lorsque, pour plaire à leur souverain, et sourds à tous les conseils[1], ils avaient subi son caprice et

  1. « Le prince Esterhazy me disait hier qu’il avait été chargé par l’Empereur de tout faire auprès du roi pour le détourner de son fatal projet et de lui dire que l’exécuter serait le plus grand des malheurs. Mais c’était son idée fixe, dont rien n’a pu le détourner. Il ne doute pas qu’il n’en soit aujourd’hui bien aux regrets. Les récriminations et surtout les comparutions de lady Conningham vont le désespérer. » Decazes à Louis XVIII.