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ministres anglais en proie eux-mêmes aux accablantes préoccupations que leur causaient le procès de la reine et le souci de leur existence ministérielle ; la situation intérieure de son propre pays, en proie aux factions et aux conspirateurs, lui en apportait de non moins graves, en dressant à toute heure sous ses pas des embûches et des pièges. Ni sa chute, ni son exil n’avaient désarmé la haine des ultras. Elle le poursuivait, sous toutes les formes, avec l’espoir, en l’exaspérant, de l’entraîner à quelque faute qui le perdrait à jamais dans l’esprit du roi. Le déposséder de l’amitié et de la faveur si obstinément tenaces de Louis XVIII, qui relevaient son prestige à l’étranger et entretenaient en France la crainte ou l’espoir de son retour aux affaires, tel était le but de ses ennemis.

Ils exploitaient contre lui l’accueil désobligeant que lui avait fait Monsieur, à son passage à Paris, et le ressentiment que lui gardaient la duchesse d’Angoulême et la duchesse de Berry. Dans un complot militaire, découvert peu après son départ, ils dénonçaient sa participation. Clausel de Coussergues persistait à l’accuser d’avoir préparé le crime de Louvel en déchaînant, par son obstination dans la politique libérale et par le retard qu’il avait mis à s’amender, les criminelles passions dont s’était inspiré l’assassin. Impuissant à faire devant la Chambre la preuve de cette complicité, le fougueux député en avait appelé à l’opinion, en dressant l’acte d’accusation dans un écrit incendiaire que Louis XVIII annonçait lui-même à Decazes. « Le roi d’Angleterre n’est pas le seul qui ait besoin de consolateur. Un autre souffre autant que lui. L’affreux libelle paraît. La certitude que les calomnies qu’il contient ne produiront aucun effet sur les gens sages, que la lâcheté de celui qui le publie excitera l’indignation générale, ne me suffit pas. O malheureux article 20 ! comment n’en ai-je pas senti le danger[1] ? »

Indigné de ces nouvelles accusations et du silence des ministres qui l’invitaient en même temps à ne répondre que par le mépris, tant ils redoutaient que le besoin de se défendre ne hâlât son retour, Decazes versait sa colère dans le cœur du roi :

« Que veut-on ? Que prétend-on ? Me faire rester ici en me traînant dans la boue sans que je m’essuie ! On compte trop sur ma bonté. Si le ministère, attaqué comme moi et au nom duquel on

  1. Allusion à l’article de la loi sur la presse qui exceptait de la censure les écrits ayant plus de cinq feuilles d’impression.