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m’attaque ne me défend pas, puis-je rester ici ? Puis-je ne pas prendre la parole à mon tour ? » C’était là le cri d’un homme d’autant plus exaspéré que ces accusations avaient de virulens échos dans deux journaux de Londres à qui, une ou deux fois par semaine, arrivaient de France des articles exclusivement dirigés contre lui. Il semblait qu’à cette heure, nulle puissance au monde n’eût pu le retenir à Londres ; il voulait partir et se montrer en face à ses accusateurs. Mais Richelieu et Pasquier accouraient effarés aux Tuileries. Terrifiés par la perspective du retour de Decazes et de l’effet que produirait sa présence à Paris, ils donnaient au roi les raisons de leur silence et le suppliaient d’exercer sur son ambassadeur toute son influence afin de le détourner d’un dessein dont l’exécution, — affirmaient-ils, — ne présentait que des dangers. Leur opinion sur ce point ne différait pas de celle du roi et, sans les mettre en cause, il n’hésitait pas à faire ce qu’ils souhaitaient, fidèle à la règle qu’il s’était inflexiblement tracée de ne jamais laisser dans l’embarras, tant qu’ils étaient à son service, les hommes investis de sa confiance.

« Votre lettre, mon cher duc, écrivait-il à Decazes, n’a que trop répondu à l’idée que je m’étais faite de l’effet que l’infâme libelle produirait sur vous. Vous voudriez que le ministère prît la parole pour y répondre. J’avoue que je ne puis pas être de votre avis. Ce serait faire trop d’honneur à un misérable pamphlet, car l’homme a beau être député, ce qu’il ne dit pas à la tribune ne mérite plus que ce nom. Je ne sais pas si vous serez content de l’article qui a paru hier dans le Moniteur. Je crains que non ; votre sensibilité justement irritée aurait peut-être voulu davantage. Cependant, tous vos anciens collègues y assurent leur pavillon en se déclarant attaqués comme vous et l’homme y est froidement traîné dans la boue. Le gant qu’il a jeté a été relevé par M. d’Argoult. Je suppose, car je n’ai lu ni ne lirai le libelle, qu’il n’omet aucun des chefs d’accusation et, en tâchant de faire taire mon cœur pour n’écouter que ma raison, j’en ai été content.

« J’ai voulu connaître l’effet que le libelle avait produit sur le public. Tous ceux à qui j’en ai parlé m’ont dit qu’il était nul. Je ne m’en suis pas rapporté à ce témoignage auquel je m’attendais et j’ai chargé quelqu’un que je sais très véridique et qui voit beaucoup d’ultras de me dire ce qu’il avait entendu.

« — Les uns, m’a-t-il dit, trouvent que ce n’est qu’une compilation de journaux, d’autres qu’il n’y a pas de preuves morales,