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dilemme : j’aime personnellement le roi ; je voudrais donc qu’il fût bien pour mon ami. Mais sa déconsidération personnelle, qui m’afflige, me fait presque craindre qu’il ne soit trop bien. Ce que lord Castlereagh vous a dit de l’état du pays et des suites possibles du procès est bien effrayant. »

Quelques jours plus tard, le roi revient sur ce triste et pénible sujet : « Vous voyez que je ne parle pas ici du procès de la reine, de son abandon, de l’accommodement nécessairement mauvais, qui va avoir lieu, s’il ne l’a déjà eu. Ce n’est pas que je n’en ressente beaucoup de peine, j’y reviendrai tout à l’heure. Mais la reine elle-même, M. Tierney vous l’a dit avec toute espèce de raison, n’est qu’un instrument entre les mains des radicaux ; et ce n’est pas elle, ce sont eux qui triomphent et c’est un grand sujet de s’affliger et surtout de s’inquiéter. Le roi peut ne pas penser tout à fait ainsi. Quelle que soit sa sollicitude pour le bien de l’Etat, le procès le touche de plus près, et, vous et moi, nous connaissons quelqu’un qui est invulnérable de partout, excepté du cœur. Depuis le commencement de la révolution, le prince de Galles n’a cessé de manifester l’intérêt le plus touchant et le plus noble à ma cause ; c’est là le fondement de l’amitié qui nous unit ; la connaissance personnelle n’a pu que la consolider et l’accroître. Depuis trois semaines seulement, sa conduite envers un ami bien plus cher blesse mon cœur dans la partie la plus sensible. Mais il est trompé, mais il ouvrira les yeux ; mais, en attendant, il souffre ; sa position est cruelle, de quelque côté qu’on l’envisage ; je n’y puis être indifférent. Je n’ose me flatter que vous puissiez le lui dire. Les perfides qui lui ont donné tort contre moi l’obsèdent de trop près pour cela. Mais, si vous pouvez lui faire savoir que mon cœur tout entier prend part aux peines du sien ; si, surtout, l’intermédiaire peut lui dire que ce n’est pas mon ambassadeur, mais mon ami, que je charge de lui porter les consolations de l’amitié, cela me fera du bien. »

On voit combien nombreuses et multipliées montaient autour de l’ambassadeur de France les causes de préoccupations, lesquelles se compliquaient d’incidens personnels : tel le débat qui s’éleva entre lui et Pasquier, au sujet d’un secrétaire d’ambassade que celui-ci entendait lui imposer et dont lui-même ne voulait pas, parce que, disait-il, ce jeune fonctionnaire n’était qu’un espion qu’on cherchait à établir auprès de sa personne. Sans exagérer, en présentant sous des couleurs trop accusées, la tendance de son