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— Tenez pour certain que tant que nous serons ministres, nous ne lâcherons pas le prisonnier, mais que, le jour où nous n’y serons plus, il sera remis en liberté.

Ces paroles, malgré leur gravité, laissaient Decazes encore incrédule, ainsi que le prouve ce passage des lettres où ces incidens sont racontés : « Je suis convaincu que le nouveau ministère y regarderait à deux fois avant de prendre sur lui une toile responsabilité et que le roi n’y accéderait pas. » Mais, ce commentaire rassurant ne suffisait pas à calmer les appréhensions de Louis XVIII, en ce qui touchait l’hypothèse d’un nouveau débarquement de Bonaparte sur les côtes de France : « Ce que le duc de Wellington vous a dit sur Bonaparte a un caractère bien autrement grave que les propos de M. Tierney. Maudit soit le comte de Munster ! Il nous a ravi le meilleur de nos moyens de défense. » Par cette dernière ligne de son post-scriptum, le roi accusait Munster d’avoir usé de son influence sur George IV pour desservir Decazes auprès de lui. Celui-ci remarquait, non sans surprise, que le « cher George » n’avait pas encore répondu à la lettre particulière de son frère et cousin, en date du 6 juillet, citée plus haut et recommandant l’ambassadeur à ses bontés. Affectueusement accueilli lors de sa réception à Carlton-House, Decazes n’y avait plus été appelé et, malgré ses demandes, sa femme n’était pas encore officiellement présentée. Il s’en inquiétait, quoi que pût lui dire la comtesse de Liéven, victime, elle aussi, à plusieurs reprises des caprices et de la mobilité du roi d’Angleterre, de son caractère fantasque. Et Louis XVIII d’imputer au comte de Munster la responsabilité des bouderies royales.

« Plus je le vois prévenant pour vous, plus je suis certain de sa fausseté et ce n’est pas sur des ouï-dire que je le juge ; c’est sur une certaine lettre que j’ai lue dans la correspondance. Je n’avais jugé que lui d’après sa lettre, mais la vôtre m’apprend qu’il en faut juger d’autres aussi et qu’un travail de taupe dont je ne puis soupçonner que lui n’a que trop bien réussi. La lettre portait ces mots : Le roi n’est pas à se repentir de la précipitation avec laquelle il a accepté M. Decazes comme ambassadeur. Cela explique trop bien la conduite tenue depuis l’audience et il est aisé d’en juger l’auteur. Mais ce qui ne peut s’expliquer que par l’habitude de parler ainsi, ce sont les éloges qu’on vous a faits de moi, qu’on doit regarder au moins comme un sot, puisqu’on croit que j’ai mal placé ma confiance. Tout cela me met dans un triste