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ingénieurs anglais avec des capitaux anglais, leur produit va directement en Angleterre, et l’Inde n’a rien à y prétendre. Si, pendant la période de construction, ils ont assuré l’existence à quelques milliers d’indigènes, l’exploitation de ces lignes est aujourd’hui presque exclusivement dans des mains étrangères, et la question de savoir si la facilité et le bon marché des transports a profité, en fin de compte, aux producteurs agricoles, semble être résolue négativement par la majorité des observateurs. Un septième du réseau total a été construit par l’Etat et a coûté plus d’un demi-million par mille. À ce taux extravagant, on ne s’étonnera pas d’apprendre que ces chemins de l’Etat donnent des bénéfices minimes. Ce qui surprend, c’est qu’ils fassent leurs frais.

Je n’ai pu découvrir que la moindre portion du commerce extérieur appartînt aux natifs de l’Inde, si l’on excepte quelques riches parsis de Bombay. Ailleurs l’esprit d’entreprise et les capitaux font défaut.

Les écrivains indigènes sont assez bien fondés à dire que, vers la fin du dernier siècle, l’Inde et l’Angleterre, au point de vue industriel, se trouvaient à peu près sur le même pied et qu’à certains égards, l’Inde avait l’avantage. La transformation soudaine de l’outillage après 1815 a pris l’Inde par surprise. Tandis que l’ère des machines s’ouvrait en Europe et qu’une classe nouvelle, celle des patrons, se créait pour en profiter et grandissait rapidement, l’Inde, paralysée par son immuable système social, assistait à ce mouvement, et en subissait le contre-coup sans pouvoir l’imiter. Il fallait donner le temps à cette vieille société de se réconcilier avec les exigences d’un âge nouveau, la protéger pendant la période d’apprentissage et d’essai contre une concurrence trop bien armée. C’est ce qu’on ne fit point, et le libre-échange vint porter le dernier coup à cette industrie sans capital, toute de génie et d’effort personnel, purement individualiste. Elle mourut lentement, et les derniers métiers sur lesquels étaient nées tant de délicates merveilles disparurent l’un après l’autre : la « Rosée du matin » avait cédé la place aux hideux calicots peints de Manchester.

Une nouvelle industrie est enfin venue au monde, mais ce sont les étrangers qui l’ont créée. Eux seuls pouvaient supporter les frais d’étude et de premier établissement, les dépenses légales, les expériences coûteuses, les longs tâtonnemens, la publicité sous ses diverses formes, toutes les dépenses que nécessite le