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lancement d’une grande entreprise. Il y a cependant une exception à la règle. L’industrie cotonnière appartient pour une moitié aux indigènes. Lorsque, au moment de la guerre de Sécession, le coton des Etats-Unis vint à manquer, l’Inde se laissa tenter par cette occasion unique. Pendant deux ans, la production cotonnière donna de beaux résultats ; mais, après la guerre, l’industrie anglaise, qui n’est ni généreuse ni sentimentale, rendit sa pratique au coton américain qui vaut mieux que le coton indien. La Chine, le seul client que le coton indien eût gardé jusqu’à ces derniers temps, sollicitée par d’habiles rivaux, lui ferme peu à peu son marché.

Ainsi, par un mouvement opposé à celui qui se produit en Occident, tout ce qui vivait autrefois de l’industrie se rejette vers l’agriculture et lui demande sa subsistance. On calcule que 90 pour 100 de la population travaillent la terre. Pour comprendre l’importance de cet appel, chaque jour plus énergique, aux ressources productives du sol, il faut se souvenir que le nombre des habitans augmente sans cesse, suivant une proportion mal connue, mais qui doit être formidable dans ce pays de mariage précoce et obligatoire, où la religion ferme le ciel impitoyablement à quiconque ne laisse derrière lui aucune postérité, mâle. Or, à mesure que la terre de l’Inde a plus de bouches à nourrir, sa fertilité décroît, ainsi que les moyens de la réparer[1]. On allègue que, depuis trente ou quarante ans, des terres en friche ont été mises en rapport dans diverses parties de la contrée. Il est vrai que des marais ont été desséchés ; que, sur certains points, des cultures nouvelles, plus profitables que les anciennes, ont été introduites avec l’emploi des méthodes modernes et des instrumens perfectionnés ; que des fermes modèles ont été établies pour initier les natifs à l’usage de ces méthodes et de ces instrumens. Mais le bien produit par ces remèdes ou ces palliatifs s’aperçoit à peine en présence du mal qui grandit chaque jour. Il est moindre dans les parties de l’Inde qui sont demeurées sous l’administration directe des rajahs. Là on n’impose ni les prairies ni les jachères, ou, du moins, on ne les impose que d’une façon nominale. On accorde au raïa des délais pour s’acquitter, dans les années de famine ; quelquefois même, on lui fait remise entière de l’impôt. Aucune complaisance, aucun tempérament de ce genre

  1. Voir Bose, Hindu Civilization.