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deux hommes ? En gardant dans leurs mains les forteresses de Scindia et en ne tenant aucun compte des promesses faites en son nom. C’est pourquoi, vingt ans après, le vieux Dinkur Rao disait, en secouant sa tête blanche, avec une sévère tristesse : « Autrefois la parole du peuple anglais était une inscription gravée sur le roc avec une pointe de fer. Maintenant, ce n’est plus qu’un billet à ordre souscrit par un débiteur sans scrupule[1]. »


III

La race qui a produit un Madhava Rao, un Dinkur Rao, n’est ni incapable, ni indigne de se gouverner elle-même ou, tout au moins, d’aider les Anglais dans le gouvernement, comme elle a, pendant de longs siècles, fourni des administrateurs et des hommes d’Etat à ses maîtres musulmans. Ce qui tient les Indiens hors du Civil Service, c’est donc, avant tout, la volonté arrêtée de ne les y point admettre. Cependant, l’éducation politique de l’Inde est commencée et se poursuit, souvent en dehors des Anglais, quelquefois malgré eux, quelquefois avec leur concours et sous leur inspiration. Car, d’une part, il y a toujours du mouvement dans la vie la plus stagnante et, de l’autre, de généreuses inconséquences devaient troubler et ont en effet troublé l’exécution du plan égoïste qui refuse de partager le gouvernement et la richesse de l’Inde avec l’Inde elle-même. De cette race somnolente, sont sortis des apôtres d’émancipation et de progrès. Il s’est trouvé des Anglais qui se sont dévoués à la même cause au point de lui sacrifier leur fortune et leur vie. L’Inde a connu des administrateurs dont le seul désir était d’être justes et de faire le bien. Parmi ceux-là, elle place lord Ripon, qui fut gouverneur général au temps du second ministère Gladstone. Lord Ripon a servi de cible, en Angleterre, aux caricaturistes et aux petits journaux satiriques. Pourquoi ? Je n’y vois d’autre raison que sa conversion au catholicisme. Lord Ripon n’est pas un homme d’Etat de premier ordre, mais il a été, de notre temps, l’un des derniers spécimens d’une espèce disparue et à jamais regrettable : le libéral anglais, c’est-à-dire l’honnête homme qui essayait d’appliquer la morale à la politique. Or, la morale politique, qui parle aussi

  1. James Routledge, English Rule and Native Opinion. London, 1878.