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dans ses idées, dans son talent, quelque chose de toutes ces tristesses, lointain héritage atavique ou profondes impressions d’enfance : la race exilée, la ville déchue, la pauvreté du premier logis. Sa mère, veuve de bonne heure et sans ressources, pour donner un protecteur à l’enfant, se remaria à un vieux marchand de Surate. Mais le marchand fit de mauvaises affaires et voilà le petit Behramji, à douze ans, obligé de subvenir à ses propres besoins et de contribuer aux dépenses de la maison. À la fois élève et professeur, il suivait des cours toute la journée ; le matin et le soir, il donnait, à son tour, des leçons. Ces premières sensations d’écolier, jeux, douleurs, rêveries, enfantines tendresses, vagabondages de l’âme et du corps, tout cela terminé par la brusque apparition de la mort qui arrache de ses bras sa mère bien-aimée et, en quelques heures, fait de l’enfant un homme : Malabari a raconté ces choses dans des fragmens autobiographiques[1], que nul, je crois, ne pourra plus oublier après les avoir lus et qui se placent dans certaine région de la mémoire avec le début des Confessions, celui de David Copperfield, le premier livre du Petit Chose, d’Alphonse Daudet, et d’autres pages du même genre, où revivent, sous une forme artistique, de fines et précoces émotions. Malabari n’est pas un scholar comme Tilak. Il a échoué trois fois à l’examen de « matriculation » devant l’Université de Bombay et, après avoir été admis la quatrième année, n’a pas poussé plus loin. Mais il a les dons naturels que ne confère aucun diplôme, l’imagination du poète et les instincts de l’écrivain. Il a publié deux recueils de vers en guzerati, d’abord dans le sous-dialecte parsi, puis dans celui des Mahrattes. Je ne puis juger ces poèmes et je renvoie le lecteur aux appréciations compétentes et motivées de Mlle D. Menant. Je ne connais rien de son volume de vers anglais, the Indian Muse. En revanche sa prose me cause un plaisir tout particulier. C’est de l’anglais très pur et très clair, mais affiné, coloré, assoupli, attendri, orientalisé, marqué au sceau d’une forte et séduisante personnalité intellectuelle.

M. Malabari a aussi fait œuvre d’historien en racontant, dans

  1. Dayaram Gidumal, Life and Life work of Behramji M. Malabari. Bombay, 1888. Seconde édition anglaise, London (Fisher Unwin, 1892). Traduction française par D. Menant avec préface par M. J. Menant. Paris, 1898, Flammarion. — L’introduction que Mlle Menant a placée en tête de cette biographie l’achève et l’éclairé par une foule de détails précieux. On y retrouve ce talent sobre, cette informationnelle et sûre, ce jugement ferme et délicat qui ont recommandé au monde érudit et lettré l’Histoire des Parsis.