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recommanda seulement de se défier du beau berger et de ses chansons. Le Printemps lui dit : « Souviens-toi de moi quand tu seras malheureuse ; viens me trouver dans la vallée, près du lac, et quoi que tu me demandes, je te l’accorderai. » L’enfant suivit ses parens adoptifs et sur ses pas s’inclinèrent les arbres de la forêt.

Alors commença pour elle un étrange et triste destin, fait de son désir et de son impuissance d’aimer. Elle souhaita, mais en vain, l’amour du berger chanteur, et c’est un autre qui l’aima : Mizguir, un jeune et riche marchand, qui pour elle trahit Coupawa, sa fiancée. Coupawa maudit le parjure et s’en vient demander justice au tsar, gardien des sermens d’amour. Devant tout le peuple, Mizguir n’a pour sa défense que cette seule parole : « Ah ! Tsar, si tu voyais Sniegourotchka ! » Elle paraît au même instant, et le Tsar, la voyant si belle, ne peut admettre qu’elle soit insensible : « Celui de vous, dit-il à ses jeunes sujets, qui saura gagner ce cœur avant demain au lever du jour, recevra de mes mains une riche récompense et la jeune fille elle-même. »

Le soir, sous les arbres d’une forêt enchantée, on danse, on boit, et le berger prodigue ses chansons. Le Tsar l’invite à choisir une jeune fille, et c’est devant Coupawa qu’il s’incline. En vain, près de Sniegourotchka méprisée à son tour, Mizguir s’empresse et redouble ses instances. Elle résiste, il la menace, et, pour la sauver, il faut l’intervention des esprits de la forêt. A peine ont-ils éloigné Mizguir, que Lel et Coupawa reparaissent ensemble. Sniegourotchka veut les séparer, ils la repoussent ; l’enfant de neige ira trouver sa mère et lui demander le don divin et peut-être mortel de l’amour.

Elle l’obtient et, revoyant Mizguir, elle peut, elle sait enfin l’aimer. En présence de tous, elle se déclare sa fiancée ; elle dit la douceur nouvelle du sentiment qui l’enivre. Mais un rayon perce la nue, tombe sur la jeune fille et lentement fond ce corps et ce cœur de neige. Mizguir se tue, et l’opéra finit par un cantique universel à la gloire du soleil et de l’été.


II

De ce livret poétique, symbolique même, un peu monotone et souvent incohérent, la musique a fait une œuvre, peut-être un chef-d’œuvre délicieux. Il possède au plus haut degré les deux élémens auxquels paraît de plus en plus s’attacher et se complaire le génie musical de la Russie : le caractère national et le caractère populaire.