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« Les Russes, a dit autrefois Ségur, sont encore ce qu’on les fait ; plus libres un jour, ils seront eux-mêmes. » Pour leur musique également, ce jour est venu. Avec Glinka, le premier, elle a commencé d’être elle-même ; elle prétend le rester désormais. Certaines pages de la Vie pour le Tsar, les moins belles, trahissaient encore l’influence étrangère ; dans une œuvre comme celle de M. Rimsky-Korsakow, tout est indigène et indépendant.

Cette musique n’a rien d’italien. De la vieille et sainte nourrice qui la berça d’abord elle aussi la Russie a désappris les chants. Elle a rompu délibérément avec le génie latin, ce génie qu’un seul mot, le mot de classique, suffit à définir ; génie séculaire et régulier, que son génie à elle, plus jeune et un peu sauvage, n’aurait pu longtemps imiter ou contrefaire.

Cette musique n’est pas française. Elle est moins que la nôtre de la musique de théâtre ; elle est peut-être davantage de la musique pure. Elle fait moindre la part de l’action et du mouvement dramatique, plus grande celle de la contemplation et de la rêverie.

Cette musique n’est pas allemande, et surtout elle n’a rien ou presque rien de commun avec la musique de Wagner. M. Rimsky-Korsakow ne se sert que très rarement, — et très légèrement, — du leitmotiv, au sens wagnérien du mot et du procédé. Il donne a la symphonie un rôle, mais sans retirer le rôle principal à la voix. Ainsi l’orchestre n’est pas dans son œuvre l’élément essentiel de l’expression et de la beauté. Cette œuvre enfin n’est pas conforme au principe nouveau de la continuité, mais à la règle plus ancienne de la division. Au lieu de se développer sans arrêt, la musique de Sniegourotchka s’interrompt et se repose ; elle se partage en « morceaux » reliés par des récitatifs. Et la vieille forme de la mélodie ainsi définie s’accorde, aussi bien que la forme récente de la mélodie continue, avec la liberté et l’originalité du fond, je veux dire de la pensée et du sentiment.

L’œuvre de M. Rimsky-Korsakow est donc nationale. Elle l’est à sa manière, qui ne ressemble pas à la manière historique, celle du Boris Godounow de Moussorgsky. Dans Sniegourotchka, le nationalisme est plutôt légendaire et pittoresque, ce qui ne signifie pas, tant s’en faut, qu’il soit plus superficiel ou plus étroit. Un tsar règne sur le peuple des Bérendès ; un tsar imaginaire, comme ce peuple même, mais un tsar. Il siège en son palais, sur un trône d’or. Assis autour de lui, des vieillards aveugles chantent, en s’accompagnant sur des harpes primitives, des hymnes graves et splendides. Ces rapsodes, ou ces bardes, figurent souvent dans les opéras russes. Glinka, le premier peut-être,