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et de colère. Sans doute, un tel finale n’a rien de commun avec les grands modèles classiques, fût-ce avec cet autre tourbillon qu’est l’admirable finale de Samson et Dalila. Mais il a des beautés aussi que les autres ne possèdent point. Dans les imprécations de Coupawa, comme ailleurs dans les plaintes de Sniegourotchka ou dans les chansons de Lel, en un mot dans l’œuvre entière de M. Rimsky-Korsakow, il semble que non seulement le procédé, mais l’art lui-même s’efface devant la nature et la vie, devant ce qu’elles ont l’une et l’autre de plus simple, de plus naïf et, comme disait Wagner, de plus purement humain.

Nationale et populaire, cette musique reflète la terre et le ciel russe. L’âme russe également peut s’y reconnaître, surtout l’âme des humbles et des petits. Voilà ceux dont elle préfère chanter la joie et la souffrance, le sourire et les pleurs, les colères et les amours. Loués soient les musiciens, comme les romanciers de la Russie, pour avoir fait si grande en leur génie la part des pauvres ! « Les pauvres en tout valent mieux, » disait le poète, et c’était peut-être trop dire. Mais, à coup sûr, ils ne valent pas moins, et la musique, notre musique de France en particulier, a tort de les dédaigner. Parmi les œuvres, les chefs-d’œuvre même de l’art français, combien en citeriez-vous de nationaux, et surtout de populaires ? Qu’y a-t-il de commun entre nos maîtres et la foule ? Qu’y a-t-il, — et je cite à dessein des ouvrages non seulement inégaux, mais divers, — qu’y a-t-il dans Faust ou dans Manon, dans Carmen, dans Sigurd ou dans Fervaal, qui vienne du peuple de France et qui retourne à lui ? La musique russe, au contraire, aime à pratiquer ce noble échange. Démocratique et sociale, ou plutôt, — pour employer des mots anciens, et meilleurs, — fraternelle et charitable, elle admet, elle convie le peuple à la participation de l’idéal et à l’expression de la beauté.


IV

Quel est-il donc, ce peuple lointain, et quelle âme révèlent ses chants ? L’éloquent et fidèle témoin qu’il nous plaît d’interroger en cette matière a vanté les « qualités maîtresses du vrai peuple russe : la bonté naïve, la simplicité, la résignation. » Ajoutez-y la rêverie, l’aspiration mélancolique et vaguement inquiète, et vous aurez ce que les Grecs eussent appelé l’éthos, autrement dit le caractère moral de l’œuvre que nous souhaitons de faire connaître et de faire aimer.

Cette musique ne chante que des choses simples, et elle les chante