Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

simplement. Indifférente aux problèmes de la psychologie et de la métaphysique, elle ne se flatte pas, comme certaine musique allemande, de résoudre l’énigme du monde. Le système de Schopenhauer ou celui de Nietzsche lui demeure étranger. Ce n’est pas M. Rimsky-Korsakow qui se fût jamais avisé de mettre en musique ce qu’a dit Zarathustra. Symbolisme à part, et le symbolisme ici tient peu de place, il n’est pas de sujet moins compliqué que celui de Sniegourotchka. Le sentiment lui-même n’y est pas analysé, noté, — c’est le terme propre, — avec la puissance et la finesse, avec la logique et la sûreté qui font d’un Tristan l’expression en quelque sorte totale des passions de l’amour. La musique de M. Rimsky-Korsakow est moins générale et moins profonde. Elle n’a pas les dessous de la musique de Wagner ; en un mot, un seul, et qu’il faut bien répéter, puisqu’il est le meilleur, cette musique est plus simple, et c’est pour cela qu’elle a comme élément essentiel et comme principale beauté ce corps simple par excellence : la mélodie.

Cette musique est bonne en même temps que belle. Les premières paroles du tsar à Sniegourotchka respirent une mansuétude infinie. La scène au bord du lac est un chef-d’œuvre de grâce affectueuse et triste. Maternel et fraternel à la fois, le chant du Printemps et des (leurs octroyant à l’enfant imprudemment avide l’amour dont elle doit mourir, ce chant exprime avec une finesse ravissante les incertitudes d’une tendresse qui ne refuse pas, mais qui prévoit et qui s’alarme. Lel a beau dédaigner, — sans qu’à vrai dire on devine ses raisons, — l’amour de la Fille de neige, on ne saurait trouver rien de cruel ou seulement de sévère en ses chansons. Il n’y a pas jusqu’à la mort, sous un rayon de soleil et d’amour, qui n’ait ici quelque douceur. Ici les choses mêmes sont bonnes. Renan disait un jour, avec son optimisme ironique : « L’intention de l’univers est généralement bienveillante. » Elle l’est dans cet opéra. Cette musique ne chante que la nature amie. Le tsar bénit la douceur du crépuscule. Au début du premier acte, le soir vient, les trompes des bergers ramenant leurs troupeaux se répondent. On songe à certain paysage de l’Arlésienne, où des bergers aussi rappellent leurs bêtes. Mais le « soir » de Bizet tient en quelques mesures ; celui de M. Rimsky-Korsakow tombe plus lentement, il est plus développé, plus « fait, » comme Bizet lui-même aimait à dire. Il est également plus étrange, il ne ressemble pas à nos soirs de France, et les Russes, voyant monter la fumée du toit de ces maisons peintes, ne peuvent manquer de reconnaître celle qu’un de leurs poètes a nommée « la fumée de la patrie. »