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occasionnelle » du Faust de Gœthe, sa véritable cause a été le désir d’exprimer une conception générale du monde. « Le plan primitif de Faust n’était fait que d’une idée, » écrivait Gœthe à Schiller, le 22 juin 1797. Et la première partie de Faust, telle que nous la connaissons, a pour objet de traduire non pas seulement une « idée, » mais trois « idées » différentes, opposées, presque contradictoires, qui ont tour à tour préoccupé la pensée de Gœthe dans les phases successives de son développement. C’est du moins ce que paraissent admettre aujourd’hui la plupart des commentateurs du maître allemand, sans pouvoir toutefois s’accorder sur la détermination de ces trois « idées. » Et leur débat vaut la peine d’être considéré d’un peu près, ne serait-ce que pour les renseignemens qu’il nous fournit sur la façon dont ces messieurs débrouillent et éclaircissent le texte du poète.


Il y a dans la première partie de Faust trois scènes capitales qui, depuis un demi-siècle, mettent en émoi la critique allemande. C’est d’abord le fameux Prologue dans le Ciel, où Dieu apparaît en propre personne, pour s’entretenir familièrement avec Méphistophélès de Faust, « son bon serviteur. » Entre autres paroles quelque peu obscures, Dieu y dit celles-ci, qui doivent évidemment signifier quelque chose : « Faust, en vérité, ne me sert encore maintenant que d’une manière confuse, mais je le conduirai bientôt vers la clarté ! » Et il ajoute : « Essaie donc de détourner cet esprit de sa source originelle, et emmène-le avec toi en bas, dans ton domaine, si tu peux le saisir : mais en revanche avoue ta honteuse défaite, (si tu te trouves forcé de constater qu’un homme bon, dans son impulsion irréfléchie, a conscience de ce qui est, pour lui, le droit chemin ! » Le Dieu qui parle ainsi, quel Dieu est-ce ? A quelle école philosophique doit-on le rattacher ? Voilà un premier problème pour la Gœthe-Forschung !

Second problème. Dans la grande scène qui ouvre la tragédie, Faust, après avoir évoqué le signe du macrocosme et avoir contemplé l’harmonieuse synthèse du monde, s’écrie : « Quel spectacle ! Mais, hélas ! ce n’est rien qu’un spectacle ! » Après quoi il évoque le signe de l’Esprit de la Terre. Et l’Esprit de la Terre apparaît devant lui, dans un cercle de flammes. Mais Faust, d’abord, est effrayé de sa vue. « Vision terrible ! Mes yeux ne parviennent pas à la supporter ! » Alors l’Esprit lui reproche son peu de courage : « Toi dont la voix résonnait vers moi, toi qui te pressais contre moi de toutes tes forces, est-ce toi qui, enveloppé de mon souffle, trembles dans toutes les profondeurs de ton être, comme un ver qui se détourne avec crainte en se