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d’un génie de l’action universelle. Lutte entre la forme et le manque de forme. Supériorité du contenu sans forme sur la forme sans contenu. Rendre ces contrastes plus disparates, au lieu de chercher à les concilier. Effort scientifique clair, mais froid : WAGNER. Effort scientifique chaud, mais confus : LES ECOLIERS. » C’est bien, comme l’on voit, un scénario de Faust, moins Méphistophélès : et le rôle que va jouer ce dernier dans les rédactions ultérieures est encore confié ici à l’Esprit, apparaissant « sous la forme d’un génie de l’action universelle. »

Tels sont les faits : ils permettent de conclure, sans trop d’invraisemblance, que la version définitive de Faust contient deux ou trois passages provenant de versions antérieures, et n’ayant plus désormais aucune raison d’être, si ce n’est leur admirable beauté poétique. La scène de l’Esprit de la Terre, par exemple, répond à un premier projet où c’était cet esprit qui devait jouer, auprès de Faust, le rôle joué ensuite par Méphistophélès. Le monologue dans la caverne répond à un autre projet, où Faust devait nous être montré pénétrant sans cesse davantage au cœur de la nature. Et le Prologue dans le Ciel, enfin, fait partie d’un troisième projet, où Méphistophélès est expressément chargé par Dieu de tenter le « bon serviteur. » Ainsi la première partie de Faust est une juxtaposition d’élémens disparates, produits, ou tout au moins conçus, à diverses époques de la vie de Gœthe.

Reste à savoir au juste ce que ces élémens signifiaient, dans les projets successifs dont ils nous gardent la trace : et là-dessus les commentateurs ne parviennent pas à se mettre d’accord. Pour l’un d’eux, M. de Biedermann, la scène de l’Esprit de la Terre, le monologue, et le Prologue ne sont que des artifices dramatiques inventés tour à tour par Gœthe pour exprimer une même idée, qui fait le fond de la tragédie. Dès le début, Gœthe a voulu nous faire voir, dans Faust, la lutte de la faiblesse de l’homme avec ses désirs : mais longtemps il a hésité sur la façon pratique dont il traiterait ce sujet, et notamment sur la façon dont il introduirait auprès de Faust cet « esprit » que, de tout temps, il avait rêvé de lui donner pour interlocuteur. Et d’abord il a, comme il le dit lui-même, prêté à cet esprit la forme d’un « génie de l’action universelle : » d’où le dialogue de Faust avec l’Esprit de la Terre. Puis il a substitué à cet être abstrait la figure plus vivante de Méphistophélès ; et alors il n’a plus songé qu’au moyen de justifier l’intervention de Méphistophélès dans le drame. Mais, à travers toutes ces hésitations Gœthe, d’après M. de Biedermann, n’a jamais varié sur l’essence du sujet ; et quand Faust s’écrie, dans son monologue : « Esprit sublime qui as tourné ta face vers moi dans la