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flamme, » ce n’est pas à l’Esprit de la Terre, c’est à Dieu qu’il s’adresse. C’est Dieu que Gœthe, toujours, a conçu comme présidant à l’action de Faust. Rien n’est plus faux que la « légende des doctrines successives » juxtaposées dans la dernière version de la tragédie : et ceux-là seuls peuvent admettre cette légende qui ne voient dans l’œuvre de Gœthe qu’un prétexte « pour se livrer à leur fantaisie. »

Or voici que, dans une longue étude sur l’Esprit de la Terre, un autre commentateur non moins autorisé, M. Robert Hering, admet précisément la « légende des doctrines successives. » Pour lui, le monologue de Faust s’adresse à l’Esprit de la Terre : et en vérité je ne crois pas qu’un lecteur impartial puisse refuser, là-dessus, de lui donner raison. Mais M. Hering va plus loin, et nous affirme que l’Esprit de la Terre, l’ « Esprit sublime » du monologue, et le Dieu du Prologue sont les incarnations de trois façons successives de concevoir et de nous représenter la divinité. L’Esprit de la Terre se trouve être ainsi quelque chose comme un dieu pessimiste, l’ « Esprit sublime » comme un dieu panthéiste, et le Dieu du Prologue marque, chez Goethe, sinon un retour au monothéisme, du moins un désir de rentrer dans la tradition populaire de l’histoire du Docteur Faust.

A l’appui de cette hypothèse, M. Hering, — ai-je besoin de le dire ? — prodigue les argumens et les citations. Pour établir, par exemple, que l’Esprit de la Terre doit être compris comme un dieu sans pitié, il compare les vers où l’Esprit définit sa tâche avec divers passages du Système de la Nature du baron d’Holbach. On sait que Gœthe, dans sa jeunesse, a beaucoup lu le baron d’Holbach : M. Hering trouve tout simple qu’il s’en soit inspiré. Mais, plus tard, Spinoza a pris, dans la pensée du poète, la place qu’y avaient d’abord occupée les Encyclopédistes, et c’est au dieu de Spinoza que s’adresse Faust, quand il remercie l’ « esprit sublime » de lui avoir « donné en royaume la magnifique nature. » Enfin, pour ce qui est du Dieu du Prologue, M. Hering ne croit pas que Gœthe l’ait jamais pris au sérieux ; mais il nous affirme que, voulant rattacher son Faust à celui de la légende, le poète a mis en scène le Jéhovah de la Bible ; et en effet les chants des archanges, dans le Prologue, sont directement imités du Livre de Job.

Ainsi les critiques allemands, pour fêter le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Gœthe, essaient, une fois de plus, de nous expliquer son chef-d’œuvre. Mais quelque ingéniosité qu’ils apportent à leurs explications, nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’ils se donnent là une peine assez inutile. Inutile, d’abord, parce que les problèmes qu’ils prétendent résoudre sont