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l’autre extrémité de l’Europe, l’a partagé. Quant aux petites nations du Nord, et en particulier à la Hollande, que tant de liens rattachent aux Boers du Transvaal, leur sévérité est plus grande encore, s’il est possible. On considère en Hollande les victoires des Boers comme des victoires nationales, et on s’en réjouit au même titre, sans se préoccuper en aucune manière de l’effet que ces démonstrations peuvent produire en Angleterre. En vérité, de tous les pays de l’Europe continentale, c’est encore la France qui a montré le plus de réserve dans le langage de ses journaux. Le blâme est formel, mais il s’exprime dans des termes atténués, qu’il faut attribuer sans doute à un sentiment de dignité personnelle. C’est précisément parce que nous avons eu à nous plaindre de l’Angleterre dans ces derniers temps, et que la manière dont l’affaire de Fachoda a été conduite pèse toujours sur nos cœurs, que nous ne voulons pas avoir l’air de poursuivre une querelle personnelle à propos d’un intérêt plus général. Puisque nous avons laissé tomber cette querelle, — et avec raison, certes, car elle aurait eu des conséquences tout à fait disproportionnées avec son objet, — il y aurait de notre part quelque chose de mesquin à la reprendre sous une forme indirecte et avec un autre champion pour la soutenir. Toutefois, les sentimens de la France sont ceux de tous les autres pays du continent, et, s’ils sont dénués de toute pensée hostile, ils témoignent d’une réprobation morale dont nous n’avons pas à atténuer l’énergie.

Il y a là un phénomène qui, par sa généralité même, mérite à coup sûr l’attention. Comment l’expliquer ? On a vu que la préoccupation de l’intérêt personnel n’y suffirait pas toujours, et qu’il fallait y chercher d’autres causes. Il en est que nous avons déjà exposées à plusieurs reprises, et qui tiennent au pharisaïsme par trop sensible dont le gouvernement de la Reine a enveloppé une politique faite de dureté et d’avidité. Dans la controverse diplomatique qui s’est poursuivie pendant plusieurs mois entre l’Angleterre et le Transvaal, il serait peut-être exagéré de dire que tous les torts ont été du côté de la première, mais elle a eu les plus graves. Dès le premier jour, on a eu l’impression que M. Chamberlain cherchait la guerre et la voulait, et cette impression a toujours été en s’accentuant. Elle s’est précisée encore après l’entrevue de Blœmfontein, où sir Alfred Milner, au lieu de demander pour les uitlanders du Transvaal ce qu’ils attendaient réellement de l’intervention britannique, à savoir des droits municipaux à Johannesburg, ville qu’ils ont fondée et qu’ils peuplent, des commodités plus grandes pour leur industrie, la suppression de certains monopoles