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servies. Toutes les précautions semblaient prises, non seulement pour prévenir les folies conquérantes d’un nouveau Napoléon, mais pour nous imposer une contrainte que nos pères n’avaient jamais subie. Rien dans le passé ne nous avait été imposé de plus pénible à supporter, rien ne pouvait être imaginé de plus menaçant pour notre sécurité future que cette base d’opérations préparée d’avance, en pleine paix, pour nos ennemis, quels qu’ils fussent, et quelle que fût la cause, légitime ou non, qui pouvait nous mettre un jour les armes à la main. Toute la liberté de nos mouvemens paraissait par-là pour jamais enchaînée. Rien n’explique mieux l’impatience et l’irritation que causaient, dans ma jeunesse, le souvenir et même le nom des traités de 1815 à la génération qui en avait vu la pénible inauguration. Ce sentiment durait encore, grondant toujours et éclatant à certaines heures, même après que sur bien des points les liens dont on avait prétendu nous garrotter, se furent insensiblement relâchés. Lamartine ne disait-il pas encore en 1846 qu’on ne pouvait observer les traités de 1815, mais qu’il fallait toujours les maudire ? Si la génération qui s’élève aujourd’hui n’éprouve plus cette impression et même a quelque peine à la comprendre, c’est que, par une douloureuse comparaison, le pire a effacé le souvenir du mal et que 1870 a fait oublier, je ne veux pas dire fait regretter 1815.


II

J’en ai dit assez, je pense, pour faire voir que la constitution du royaume uni des Pays-Bas était, dans la pensée de ses fondateurs, la maîtresse pièce du mécanisme qu’ils avaient disposé avec tant d’art contre la France, celle qui leur semblait destinée à assurer l’accord et à appuyer le jeu de tous les ressorts. Comment se fait-il cependant qu’à l’épreuve, ce soit celle-là qui ait été reconnue la plus faible et qui se soit ébranlée la première, à ce point que, moins de quinze ans après, les puissances mêmes qui avaient eu à cœur de l’établir aient reconnu elles-mêmes l’impossibilité de la maintenir, au moins sous la forme qu’elles lui avaient donnée ? Comment, dès lors, la France s’est-elle trouvée en mesure, d’abord de s’affranchir de la gêne qu’on avait prétendu lui imposer, puis de proposer elle-même et de faire adopter une solution nouvelle du problème diplomatique qui faisait depuis deux siècles le désespoir des politiques ? Les causes qui préparèrent