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cette évolution imprévue sont curieuses et complexes. Il en est qui proviennent du vice même de l’œuvre et des fautes du souverain qui était chargé d’y présider ; d’autres, de la division survenue entre les puissances qui l’avaient fondée et qui se trouvèrent par-là hors d’état de veiller au soin de la conserver. Il est nécessaire de les étudier avec soin pour bien comprendre le rôle qu’elles durent jouer dans la suite des faits.

En traçant sur le papier la configuration d’un royaume improvisé, ceux qui tenaient la plume, tout entiers préoccupés de la recherche d’un équilibre abstrait, n’avaient omis qu’une seule chose, c’était de prendre souci des désirs et des convenances des populations qu’ils accouplaient d’office sans les consulter. C’est du reste le reproche général qu’on a fait aux mesures prises par le Congrès de Vienne pour la réorganisation de l’Europe. On l’a accusé de n’avoir tenu compte que de deux élémens des connaissances humaines : la géographie et l’arithmétique, la première pour attribuer la souveraineté des territoires au possesseur quel qu’il fût auquel la disposition physique des lieux en rendrait la défense et l’administration plus faciles, la seconde pour répartir entre les puissances un nombre de sujets, non pas égal assurément, mais en rapport avec le souvenir de leurs droits passés et l’éclat de leurs victoires récentes. De là la formation de ces lots d’hommes (qu’on appelait par dérision sans doute des âmes) destinés à être adjugés ou échangés par des marchandages qui manquaient à la fois de convenance et de dignité. L’accusation, en elle-même très grave, n’est pas sans fondement. Mais il faut dire, à l’excuse de ceux qui se livrèrent à ce genre de trafic humain, que de bien mauvais et aussi de bien séduisans exemples leur avaient été donnés. Notre république de 1792, avec ses déclamations démagogiques servant de prétextes à de véritables conquêtes, l’Empire, avec ses annexions violentes et ses dynasties improvisées, avaient fait prendre à tout le monde des habitudes commodes auxquelles personne, de crainte de paraître dupe, ne voulait se montrer pressé de renoncer.

S’il y avait eu une occasion, cependant, où on eût bien fait de se départir de ce procédé un peu matérialiste, et d’avoir quelque égard aux intérêts et aux sentimens moraux, c’était quand il s’était agi d’imposer d’autorité un gouvernement à des populations dont l’histoire avait, à plus d’une reprise, fait voir qu’elles ne se laissaient pas toujours faire, et qu’on ne les traitait pas