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l’institution des castes comme le meilleur système social qu’ait vu l’humanité. Ne faut-il pas qu’il y ait une classe qui produise, par son travail : celle des ouvriers et des paysans ; une classe qui distribue les produits du travail : celle des commerçans ; une classe qui gouverne, conserve et défende la société, celle des rois, des magistrats, des soldats et des marins ; une classe, enfin, qui pense, qui enseigne et qui prie : celle des professeurs, des prêtres, des artistes et des hommes de science ? À cette répartition naturelle des fonctions et des forces, correspondent les quatre castes des Soudras, des Vaisyas, des Kchatriyas et des Brahmanes. Jusqu’ici rien qui différencie l’Orient et l’Occident, rien qui distingue les sociétés modernes des sociétés antiques. Où l’inde nous est supérieure, affirmait Mrs Besant, et, — en cela, elle a raison, — c’est que l’Inde n’a jamais donné pour base à son système social l’esclavage, ni pour couronnement la richesse. La hiérarchie des castes est une hiérarchie morale ; passer de l’une à l’autre, c’est assumer des devoirs de plus en plus lourds, des responsabilités de plus en plus hautes. Et par quels moyens a lieu le passage ? Sera-ce, comme dans nos démocraties d’Europe, par la furieuse compétition des talens, des passions et des intérêts, par l’accumulation, plus ou moins fortuite, plus ou moins légitime, de l’argent dans certaines mains ou du savoir dans certains cerveaux ? Non, mais par la mystérieuse promotion des âmes sur la liste d’avancement que détient le souverain juge, par la réincarnation. Elles débutent dans la plus basse classe, s’élèvent d’une caste à une autre, séjournant plus ou moins longtemps dans les étapes intermédiaires, suivant qu’elles ont plus ou moins de fautes à expier et de souillures à purifier, pour aboutir enfin au renoncement absolu et sublime. Alors ces âmes ont terminé leur pèlerinage terrestre, elles sont mûres pour le ciel.

Voilà un beau plan, si la réalité y répond. Mrs Besant est obligée d’avouer que le système des castes a beaucoup perdu de sa pureté première. Si elle consulte ses amis de l’Inde sur l’origine historique des castes, elle découvrira que cette « pureté première » n’a jamais existé, que les castes sont une institution essentiellement humaine, née des besoins, des ambitions et des préjugés, c’est-à-dire d’un mélange de bien et de mal ; qu’elle a dû son existence à des formations successives, jusqu’au jour où une conception théologique en a décrété la sainteté et l’immutabilité.

Primitivement, il n’y a eu que deux castes : les hommes à peau