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blanche, c’est-à-dire les conquérans aryens venus du Nord, et les hommes à peau foncée, c’est-à-dire les tribus autochtones qui habitaient l’Inde avant l’invasion aryenne. Ces Aryens étaient déjà une race religieuse et une race politique. Ils possédaient un millier d’hymnes. L’écriture n’étant pas inventée, on ne pouvait garder ces hymnes qu’en les confiant aux mémoires les mieux douées. De là naquit une classe d’hommes, analogues aux rhapsodes et aux bardes. D’utiles ils eurent soin de se rendre nécessaires, indispensables, en compliquant de mille manières le chant des hymnes, en attachant une tradition à l’émission de chaque syllabe, en y ajoutant certains gestes qui, avec le temps, devinrent des rites, et des sacrifices dont ils se réservèrent le secret. Lorsque le sanscrit, qui était la langue sacrée, devint la langue exclusive de la science, les brahmanes se trouvèrent désignés pour en être les dépositaires. Ceux qui avaient fait la conquête de l’Inde et qui continuaient à l’étendre tous les jours se sentirent jaloux des chanteurs d’hymnes, et la rivalité de ces deux groupes les sépara du reste de la nation, qui forma la troisième caste aryenne, le mot vaisyas, qui désigne les hommes de cette caste, étant dérivé du mot viz, qui signifie la totalité du peuple. D’innombrables sous-castes sont venues compliquera l’infini cette organisation. Elles sont locales ou professionnelles : des clans ou des corporations.

Ainsi ce système des castes est composite ; il a eu pour facteurs successifs la couleur, la fonction, la localité ; mais, une fois établi, il ne s’est prêté à aucun changement. Des hommes de la plus basse classe ont exercé les plus hautes fonctions. Il y a eu des rois soudras et même des dieux soudras. Des brahmanes ont été réduits par la pauvreté à se faire bouchers, danseurs, professeurs de musique, fauconniers, dresseurs de chameaux et d’éléphans, ouvriers ou laboureurs. On a vu souvent un brahmane cuisinier chez un riche soudra. Si bizarre que cela nous paraisse, un tel fait n’entraîne pas sa déchéance. Le brahmane reste brahmane et le soudra reste soudra. De même les petites castes gardent leur rang, même lorsque leur occupation professionnelle a subi les plus étranges vicissitudes, lorsque, d’infâme, cette occupation est devenue honorable, ou inversement. La caste délie les lois de l’évolution ; elle prétend ne pas sentir l’action du temps et, dans ce monde où chaque seconde amène un changement, rester à jamais ce qu’elle a été à un moment donné de l’histoire. M. Bose