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punissables les ménagères pour avoir tordu le cou à un poulet dans leur basse-cour. Cette forme de l’infanticide a-t-elle entièrement disparu ? On se prend à en douter lorsqu’on voit que, dans l’Inde, le nombre des femmes est inférieur de cinq millions à celui des hommes.

D’ordinaire, cependant, on se résigne. Les amis sont réunis, attendent l’accouchement. Si c’est un garçon, le père, rayonnant, apporte la nouvelle ; c’est le signal de réjouissances sans fin. Sinon, il congédie froidement ses hôtes, en disant : « Il n’y a rien. » Rien, c’est une petite fille[1].

L’enfant est née, elle grandit. Malheur à elle si un petit frère est mort prématurément avant qu’elle vînt au monde, car on l’accusera d’avoir volé sa place et, tout le jour, les membres de la famille l’accableront d’injures. Mais supposons que cette première douleur lui soit épargnée. Pendant quelques années, elle peut croître en liberté, jouer à son aise, aller où elle veut. Ce ne sont pas les professeurs qui la tourmentent : on ne lui apprend rien, sauf quelques prières et les choses du ménage. Mais elle a cinq ans : il faut songer à la marier. Le barbier du village s’y emploie de tout son pouvoir. Quelquefois le hasard d’une rencontre en voyage suffit à décider ce grand événement. L’union est bâclée ; la mariée, — une enfant de six ou sept ans, — est remise à un étranger, à un vieillard, peut-être, dont on ne sait rien, sinon qu’il est de la caste voulue et du clan qui convient. Elle part vers un home inconnu, situé à l’autre bout du pays et ne reverra jamais les siens. Mais laissons les exceptions, envisageons le cas normal. Imaginons la petite fille mariée à un petit garçon dont les parens sont parfaitement connus des siens. Elle passe sous l’autorité d’une belle-mère qui croit que son devoir est de la « briser. » L’enfant apprend son nouveau métier, qui sera celui de servante. Elle vit confinée dans la cour intérieure, dans l’appartement des femmes. Le moment vient où le mariage doit être consommé. Il est hâté, je le veux, par le climat asiatique, mais il est hâté bien souvent aussi par la luxure du mari. Lorsqu’un homme fait, qui, parfois, pourrait être le grand-père de sa femme, s’empare ainsi d’une petite fille de dix ans et la soumet à son désir, quel nom donner à un tel mariage ? M. Malabari était encore tout jeune lorsqu’une nuit, dans Surate, il entendit les cris d’une de ces

  1. Pundita Ramabai Sarasvati, The high caste Woman in India. London. 1890.