Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/635

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

50 pour 100, soit un millier de francs, qui représentent le rapport d’une saboterie. En tout, ils sont ainsi en ville huit ou dix patrons, autant d’ouvriers, et Brantôme, chaque année, vend de la sorte, dans la région, pour seize ou vingt mille francs de sabots, sur le gain desquels vivent vingt familles.

Mêmes chiffres à la carderie, installée dans l’ancien moulin. Là, le paysan apporte sa laine pour qu’on lui en fasse de l’étoffe, comme il apporte son blé à la boulangerie pour que le boulanger lui en fasse du pain, et l’étoffe, ainsi faite, lui revient à dix-sept sous le mètre. Or, une livre de laine donne à peu près un mètre d’étoffe, et deux mille paysans, environ, viennent apporter chacun, tous les ans, cinq ou six livres de laine. A dix-sept sous la livre, la carderie encaisse donc dans les dix mille francs, sur lesquels, tous frais prélevés, elle fait vivre quinze ouvrières, tout en recueillant elle-même un bénéfice de trois à quatre mille francs. C’est, ici, presque une bonne « affaire, » et même presque une « grosse affaire. »

Quant au chiffre moyen des actes et des contrats chez le notaire, il n’arrive guère à mille francs, et la moyenne des cotes établies par le percepteur se tient entre cinq et dix francs. L’argent, dans le pays, est comme une curiosité. Le plus petit « écu » y conserve encore tout son prestige. On distribue, au comice agricole, du haut d’une estrade, en présence des autorités, des députés, des sénateurs, des prix de 8 francs pour « soins aux bœufs, » de 3 francs « pour les oies, » d’autant « pour les dindons, » et le dernier mot de cette petite vie, intéressante à force d’être petite, se trouve dans le budget de l’hospice. Fondé par une très vieille donation, dans l’ancienne maison-mère des Dames de la Foi, il est tenu par cinq religieuses, et contient une vingtaine de vieillards et de malades. Tout y est fort simple et fort rustique, mais aussi très ordonné, irréprochablement net et propre. Et savez-vous combien ont là pour vivre les cinq religieuses et leur vingt hospitalisés ? 4 500 francs par an ! Chaque religieuse, sur cette somme, figure pour un entretien personnel de 100 francs, et le reste, 4 000, soit 200 francs par tête, suffit à abriter, nourrir, soigner, blanchir, entretenir, médicamenter, la vingtaine de pensionnaires que peut recevoir la maison.

On se figure, à ces chiffres, à quels frais on « tient un rang » à Brantôme, et le gros bourgeois, effectivement, y fait très bonne figure pour très peu. Il ne demeure pas dans une belle rue,