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aucune rue de Brantôme n’étant belle, mais n’en habite pas moins une maison très honorable, qui est le bel hôtel du lieu, et le bel hôtel du lieu, bien en état, vaut de quinze à dix-huit mille francs. Là, le haut bourgeois de Brantôme à cheval et voiture, servante, cuisinière, cocher, jardinier. Vienne le mariage d’une fille, ou quelque autre solennité unique, et il hébergera trente personnes pendant huit jours. Toute une semaine, matin et soir, ce seront, dans sa maison, des banquets et des danses, et, s’il ne vous loge pas toujours, parce qu’il n’a pas, malgré tout, vingt-cinq chambres à donner, vos quartiers vous attendent chez ses voisins. Ce n’est pas là, sans doute, une grande vie, mais n’est-ce pas une jolie vie, aisée et même large dans son aisance ? Et que représente-t-elle ? Une fortune de cent vingt mille francs ! Quatre ou cinq mille livres de revenu ! Un dernier type brantômais, enfin, est le petit retraité, et vous pouvez le voir sur la promenade, au café, chez le perruquier. Il est libre, n’a rien à faire, et pourrait, s’il le voulait, passer sa vie sous les platanes, au bord de la rivière, sur le quai, le long de la vieille balustrade, à regarder onduler les herbes sous l’eau. Et sa retraite n’atteint pas trois cents écus ! Peut-être possède-t-il aussi deux ou trois « obligations, » la petite maison dont il n’occupe que le haut, afin de pouvoir en louer le bas, et une petite terre, toute petite, qu’un homme du pays lui cultive « au tiers. » Mais tout cela, totalisé, ne dépasse pas douze cents francs, et il a, pour ces douze cents francs, tous les prestiges d’un « monsieur. » Il figure sur l’estrade, dans les comices, parmi les notabilités.

J’ai rendu visite à une vieille demoiselle, une toute petite rentière, très vieille et très aimable, et j’ai été frappé du confort relatif, de l’honorabilité proprette, presque coquette, de son logis. De quoi pourtant vit-elle ? De rien ! Mais elle fait presque encore figure. Elle a son petit salon, une servante aux gages de cinq francs par mois, et se plaint seulement du Brantôme actuel, qui lui semble trop moderne.

— Ah ! monsieur, me disait-elle en soupirant, si vous aviez pu voir le Brantôme de ma jeunesse ! C’était si gai, si joli, et les gens étaient si polis ! On fêtait alors sérieusement les deux Saint-Sicaire, la grande et la petite, celle d’automne et celle de printemps, et ce n’était pas seulement des foires ! Les pèlerins y venaient de partout, pieds nus, avec leur suaire sur la tête. Il en arrivait de plus de vingt lieues, on ne voyait plus qu’eux sur les routes, avec