Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/637

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des ânes, des infirmes, et tous allaient à la fontaine !… L’un y trempait son bras, l’autre sa jambe, l’autre son enfant malade !… Et le soir, à l’Abbaye, le couvent donnait un bal. Ah ! les bals du couvent ! Les bals de la Saint-Sicaire ! C’est là qu’il se faisait des mariages ! Les Brantômaises ne passaient pas pour trop laides, et les jeunes gens ne manquaient guère… Il en arrivait même de Bordeaux… Ah ! monsieur, si on dansait ! On venait aussi de loin pour ça !… Aujourd’hui, monsieur, on ne danse plus, on ne s’amuse plus, il n’y a plus rien, et les gens ne sont même plus polis !


VII

Il s’est passé à Brantôme, voilà une année ou deux, une bizarre histoire de diablerie… Tous les soirs, à l’école des Sœurs, des pierres étaient jetées dans la classe à une heure fixe, sans qu’on pût savoir d’où elles tombaient. On avait beau fermer les fenêtres, surveiller les élèves et les maîtresses, s’assurer qu’aucun projectile ne pouvait se lancer de nulle part, les pierres tombaient quand même. On vérifia le plafond, le grenier, mais on ne découvrit rien, ni fente, ni trou, ni cachette. On observa de plus près les jeunes filles et les religieuses, mais aucune d’elles ne prêtait aux soupçons. On se demanda si l’on n’était pas, par hasard, victime d’une suggestion, d’une hallucination collectives, mais on n’eût pas, en ce cas, retrouvé les pierres, et on les retrouvait… Tous les soirs, à la même heure, elles retombaient du plafond, et roulaient sur les pupitres.

On n’imagine pas la surexcitation causée par cette histoire de pierres, non seulement dans l’école, mais dans le pays tout entier. Les uns y dénonçaient une machination de l’école « laïque, » d’autres déclaraient les religieuses folles, et d’autres parlaient d’esprits, de revenans, de possession, de maison hantée, de phénomènes diaboliques. Les religieuses, affolées, finirent, de guerre lasse, par ne plus vouloir s’en rapporter à elles-mêmes, allèrent chercher des témoins, et tout un tribunal de notabilités se réunit un soir dans la chambre ensorcelée, pour constater le sortilège. Au fond, on s’attendait à ne rien voir, et chacun se préparait à rire des pauvres Sœurs, mais les pierres, effectivement, commençaient à tomber à l’heure fixée, on ne savait d’où, et roulant partout sur les bancs… Ce fut alors, dans la ville, une véritable révolution, une émeute. On voulait assiéger le couvent, en faire le